Cyberlangue et langue des jeunes
EVOLUTION DES FORMES LEXICALES ET MORPHOSYNTAXIQUES DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN
A- CYBERLANGUE
Parler en écrivant : le lexique des internautes français –
D'après l'article de Mieczyslaw Gajos – Université de Lodz -
in Verbum Analecta Neolatina ; T III – N 1, Budapest , juin 2006, - ISSN 1585-079X, p.p.171-180.
Observation des formes linguistiques sur le net (le cyberlangage, en fait déjà présent en français grâce au minitel !), les forums, les « chats » - « chatter » ou « chater »: échanger des messages en temps réel (de l’anglais Internet Relay Chat, le Bulletin officiel 14/8 avril 1999 a proposé la traduction « logiciel de causette », les professionnels utilisent le terme « messagerie instantanée »). Les « chateurs » (cybernautes – cyber-interlocuteurs du cyberespace) répondent immédiatement par écrit, ce qui donne à leurs énoncés une forme d’oral. Ces formes morphosyntaxiques et lexicales sont empruntées directement au français parlé courant et populaire ou sont crées spécifiquement.
1- Une écriture phonétique, on écrit comme on parle :
a- à chaque phonème un graphème
b- à chaque graphème un phonme
c- aucun graphème vide
Exemples :
- Chui ouver a tou.
- Ya dé ga du 91 ?
On utilise é pour le « e fermé » ou le « e ouvert » :
- fé
- cé / sé
- mé
- vé
On remplace les graphèmes composés par des graphèmes simples :
- Chui pas bo
- t’é o bau ?
Les graphèmes cc, qu, que, ch, ck sont remplacés par le graphème k
- okupé
- tu fé koi (la varante kwa est plus rare)
- tu m’mank
- pa la tekno
- bouf ton biftek
Les énoncés ci-dessous indiquent une émergence d’une langue agglutinante :
- cé dung skidiz
- ché pa skila
- ché pa tro
- kisé ou s’trouv sa barak
- mameuf veu pa
- pourkoi pa
- ta kel age
- taka m’aplé
- toré sa foto
- yapadekoi
Ce dernier point remet au goût du jour le néo-français de Raymond Queneau :
« Zazie dans le métro paraît en 1959 : c’est un roman constitué presque uniquement de dialogues et dont l’essentiel réside dans la langue et l’écriture utilisées.
Le premier mot célèbre qui ouvre le roman, « DOUKIPUDONKTAN », donne le ton : est exploité ici ce que Queneau appelait « le néo-français », ce français nouveau qui s’appuie sur la langue parlée. Queneau transcrit ainsi les paroles de Zazie : «skeutadittaleur» ( ce que tu as dit tout à l’heure ) ou « vlà ltrain qu’entre en gare » (voilà le train qui entre en gare). »
http://www.rfi.fr/lffr/articles/078/article_844.asp
transcription :
« Ne voulant pas montrer son enthousiasme à l'idée de se taper un caco-calo, Zazie se mit à considérer gravement la foule qui de l'autre côté de la chaussée se canalisait entre deux rangées d'éventaires.
_ Qu'est-ce qu'ils foutent, tous ces gens? -demanda-t-elle.
- Ils vont à la foire aux puces, dit l'type. Ou plutôt, c'est la foire aux puces qui va t'à z- eux, car elle commence là.
- Ha! La foire aux puces, dit Zazie, l'air de quelqu'un qui veut pas se laisser épater. C'est là où on en trouve des ranbrans pour pas cher, ensuite on les revend à un Amerlo, et on a pas perdu sa journée.
- Il n'y a pas que des ranbrans, dit l'type. Il y a aussi des semelles hygiéniques, de la lavande, des clous, et même des vestes qui n'ont pas été portées.
- Il y a aussi des surplus américains ?
- Bien sûr. Et aussi des marchands de frites, des bonnes, faites dans la matinée.
- C’est chouette les surplus américains.
- Si on veut, ya même des moules, des bonnes qu’empoisonnent pas.
- Ils ont des blue jeans leurs surplus américains ?
- Ca ne fait pas un pli qu’ils en ont. Et des boussoles qui fonctionnent dans l'obscurité.
- M'en fous des boussoles, dit Zazie. Mais les blue jeans....
- On peut aller voir, dit l'type.
- Et puis après? dit Zazie. J'ai pas un rond pour me les offrir, à moins d'en faucher une paire.
- Allons voir tout de même! dit l'type. »
Zazie avait fini son caco-calo. Elle regarda l’type et lui dit, je vous vois venir avec vos pataugas. Elle ajouta, on y va ?
Le type paye puis ils s’immergent dans la foule. »
Plus d'extraits de "Zazie" ;
http://ubuweb.com/sound/queneau.html
Une caractéristique du cyberlangage est l’utilisation de réductions lexicales, par apocope (suppression des voyelles finales) ou par aphérèse (suppression des voyelles initiales)
Apocope :
Ado
Anniv
Cafet
Cam
Celi
Deg
Dej
D’hab
Extra
Fac
Formid
Instit
Okase
Proch
Prof
Resto
Sal
Super
Apocope + resuffixation :
Cinoche – cin + oche
Directo – direct + o
Gratos – grat + os
Matos – mat + os
Rapidos – rapid + os
Trankilos - trankil + os
Aphérèse :
Blème
Net
Ricain
Zic
Usage de sigles et d’abréviations (notés indifféremment en minuscules ou majuscules) :
ASV– ABT – ALP – BAT – bjr – bsr – CB – chvx – CVB – ds – F- H – mm – mdr (lol) – msg – pcq – Prs – pdr – pr – pa/pk/pkoi – prnd – PV – pb/pblm – qd – ql – RV – slt/slu – STP – SVP – T – tjrs – ts – tt (es) – TVB – vx – yx
Usage de rébus et de formations ludiques:
Rébus composés de chiffres et de lettres :
koi29 - C mor ici – alors tu C – G du sortir – moi osi j’M – T’OQP? – Je V bien – t’a 1 pote – a 2M1 – on va o 6né
Michel Polnareff - LNA HO - de l'album KĀMA-SŪTRA (1990)
alpha beta - alpha BB
LNA LNA HO
LNA AOT CO
GAP LNA HO
LNA HO
GAP LNA OO
LNA LNA HO
GAP LNA OO
LNA HO
LHO LHO OLNA
LAOTCO OLNA
LCA CBC OLNA
GCD GCD OLNA
LHO LHO OLNA
LAOTCO OLNA
LCACBC ...
On trouve aussi de nombreux rébus parmi les emprunts : U2, 4U, B4
Listes des emprunts lexicaux :
de l'anglais :
OK - thanks / tnx / tnks - tvm / tyvm - bye - CU - cool - hallo - IC - ILY - kiss -lol -look - MG - MYB - NP - please - room - sorry - Y / YR - 4U - B4 - B4N - F2F - U2
de l'italien :
basta - ciao - prego - presto - scusi
de l'espagnol :
hola
B - LANGUE DES JEUNES / LANGAGE DES CITES
Quelques explications simples autour du langage des cités. Alain Rey, linguiste et lexicographe français, ainsi que quelques jeunes s'expriment sur le sujet.
Mise en ligne le 22 janv. 2009 par cap24paris
Le parler Jeune / français contemporain des cités (FCC):
vidéo 20 minutes on line – interview de jeunes suisses :
- le verlan (parler à l’envers) : - "Relou" (lourd) – "Auch" (chaud) – "Chelou" (louche)
– des expressions : "je m’en bats l’ac" (pour je m’en fous) - "laisse bet" (apocope de "laisse béton" (tomber))
Pascal Singy, de la Section de linguistique de l'Université de Lausanne, et Francesca Poglia Mileti, du Département des sciences de la société de l'Université de Fribourg, ont interrogé avec leur équipe 62 jeunes Romands également répartis entre les deux sexes. Ågés de seize à vingt ans et provenant des cantons de Genève, Neuchâtel et Vaud, ils constituaient un échantillon «indicatif de la population».
Inspiré du langage des banlieues françaises et de la culture rap principalement, ce «parler jeune» - ou «parler racaille», comme le formulent certains des sondés - est présent en Suisse romande depuis une dizaine d'années au moins. Certains parmi les plus âgés du collectif interrogé disent en effet s'y être mis dès l'âge de dix ans, voire avant.
Mais plus de la moitié situent entre douze et treize ans les débuts de leur emploi du «parler jeune». Une période qui correspond à leur entrée à l'école secondaire, avec la nécessité de s'intégrer, de s'identifier à un groupe et d'en adopter les attributs vestimentaires et langagiers.
Neuf sur dix
La presque totalité des jeunes interrogés, 56 sur 62, déclarent y recourir, à des degrés divers. La moitié d'entre eux affirment l'employer régulièrement. Quatre sur dix n'en usent qu'en certaines occasions bien précises, et un sur dix y a recours très rarement ou jamais. «Même les jeunes gymnasiens l'utilisent, ce n'est pas un langage de jeunes en rupture, il n'est pas parlé uniquement par des loubards de banlieue», relève M. Singy, interrogé par l'ATS.
Les scientifiques relèvent trois fonctions à ce langage: identitaire (appartenance au groupe), cryptique (imperméabilité aux adultes, par exemple) et ludique (amusement de leurs interlocuteurs).
http://www.20min.ch/ro/life/lifestyle/story/9-jeunes-sur-10-adeptes-du--parler-jeune--20273576
Guide pratique du parler-jeune : on
hallucine, là !
Le « parler jeune » est très à la mode, et pas seulement parmi les jeunes. Certains politiques n’hésitent pas à se l’approprier, sans doute dans le but d’élargir leur électorat en montrant qu’ils restent dans le coup. Mais en quoi consiste ce « parler jeune » ? Petit guide à l’usage des non-pratiquants...
O. Schopfer (Genève, Suisse)
Tout le monde connaît le verlan et le franglais. Mais une autre caractéristique dominante du parler jeune est le recours quasi systématique à l’hyperbole. Tout devient emphatique, démesuré. En d’autres termes, les jeunes exagèrent !
--- Les jeunes ne sont plus surpris, ils « hallucinent ». Ils en rajoutent même souvent une couche en précisant : "J’hallucine total !" (j’hallucine grave !) Il y a aussi l’expression « C’est trop halluciné ! » pour dire qu’on n’arrive pas à croire quelque chose : « Il a réussi ses exams, c’est trop halluciné ! »
--- Ils ne sont pas crevés, ils sont « destroy ». Encore mieux : « complètement destroy ». Cela vient de l’anglais « to destroy » (« détruire »). De même inspiration, on trouve aussi « être cassé ».
Ces deux termes sont apparus dans les années 70-75. « Halluciner » est issu de la vague baba et "destroy" du mouvement punk. Mais à l’époque, l’usage de ces mots était limité à des groupes de jeunes bien précis. Il faut aussi savoir que « destroy » est passé de mode après le boom du punk pour réapparaître dans le vocabulaire des jeunes à la fin des années 90.
Ce qu’il y a de différent, aujourd’hui, c’est que cette manière de s’exprimer s’est en quelque sorte « démocratisée » pour se propager dans le langage courant de tous les jeunes, et même parmi les adultes.
Le 20 septembre 2007, par exemple, dans son intervention télévisée sur les chaînes françaises, Nicolas Sarkozy a déclaré « C’est hallucinant ! » en réponse à une question de PPDA (ex-présentateur vedette du journal sur TF1).
Ce mouvement de « démocratisation » a aussi pu être observé avec le verlan. À l’origine, le verlan n’était parlé que dans les banlieues. Mais il s’est progressivement disséminé dans tous les milieux, notamment grâce au succès du rap et du mouvement hip-hop.
--- Les jeunes n’éclatent pas de rire, ils « hurlent de rire ». Forcément, « hurler de rire » est plus branché que « rire à gorge déployée », devenu désuet.
--- Ils ne sont pas stressés, ils ne « touchent plus terre ». « J’ai pas le temps, là, je touche plus terre ! » L’image fait penser à un avion qui décolle. Attachez vos ceintures !
--- La formule « de chez » pour souligner un propos. Exemples : « Ça, c’est craignos de chez craignos » ou « Je suis furax de chez furax ! » Une redondance qu’on entend partout et qui, comme toute redondance qui se respecte, met les points sur les i. Le contraire de la langue de bois.
--- « C’est énorme ! » Les adjectifs « super » et « génial » sont dépassés. Les jeunes manifestent leur enthousiasme de manière colossale. Variante : « C’est que du bonheur ! » (une expression monnaie courante dans les émissions de télé-réalité).
--- Et, bien sûr, tous les superlatifs qui parsèment le discours des jeunes : tous les « trop », « hyper », « méga », « giga » qu’on retrouve presque à chaque phrase. Il y a aussi « hypra », qu’on entend beaucoup en ce moment. « Hypra », déformation de « hyper ». «Hypra-cool, ta teuf ! » : « Elle est trop bien, ta fête ! »
L’hyperbole permet aux jeunes d'occuper un espace verbal important : soit pour se démarquer, soit pour capter l'intérêt de ceux qui écoutent.
Elle prend toute son ampleur lorsque les jeunes discutent entre eux. Peut-être les avez-vous déjà entendus dans la rue, à un arrêt de bus ou devant l’entrée d’un magasin : un jeune lance un superlatif, un autre lui répond sur le même mode ou essaie de rivaliser, ce qui déclenche une réaction en chaîne.
Avec l’hyperbole, les jeunes prennent la langue à bras-le-corps, et on peut la considérer comme une forme moderne de joute verbale, où les différents interlocuteurs se stimulent les uns les autres.
http://www.votrejournal.net/Guide-pratique-du-parler-jeune-on-hallucine-la-_a316.html
Jean-Pierre Goudailler – « Comment tu tchatches. » Dictionnaire du français contemporain des cités (FCC)
http://www.dailymotion.com/video/xfde31_l-argot-des-banlieues_news
Journaliste : « mes ieuves ont du mal à capter le langage un peu chelou et zarbi des téci »
JPG : « on gebou sur Panam pour aller en teuboi, on met du coco dans la turbo, et si on n’en a pas on rentre à iep…si ya plus de tromé ? »
Mehdi : « Si ya plus de treum ? Ben ya les iep ! »
« meuf » - daté de 1981, « keuf » 1978 – « beur » -1980, intégrés dans la langue de tous les jours (Petit Robert, 1993)
Les années 80 : le parler jeune de Mitterrand :
« chébran », « câblé », « craignos », « c’est l’enfer » (à partir de 1 min 50 )
http://www.ina.fr/media/petites-phrases/video/CAB8501059001/mitterrand-cable.fr.html
Le langage des jeunes / scred tv, à partir de 1 min 50 :
Le langage des banlieues (ScredTV - Episode 2) by FrancoisDescraques
http://www.dailymotion.com/video/x85gxs_le-langage-des-banlieues-scredtv-ep_fun?ralg=meta2-only
Jacques : « comment ça va-ti pti gars ? »
(port de la casquette, du bagui et des chaussettes par-dessus le pantalon…)
Le check (serrer la main) : frapper dans la main, puis le poing
Les salutations : « Ouèch/wesh, ma gueule ? »(wesh : de l’arabe : quoi ?)- « Bien ou quoi, ma gueule ? » - « Ca roule, gros ? » – « Bien, ma couille ? »
Les marqueurs phatiques : « ouais » - « clair » - « grave » - « putain » -
Prendre congé : « Tchus gros ! »
Activités
disponibles sur le site de l’université Stendhal Grenoble 3
http://w3.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/
http://w3.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/maitrise/sms/arg1.html
Exercice 1 :
D’après la formation des mots en verlan, trouvez la forme courante des mots suivants
Auche ; céfran ; relou ; renoi ; zomblou ; tromé ; téci ; tuigra ; oim ; keum ; zicmu
Exercice 2 :
Dialogue :
http://w3.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/maitrise/son/jeune.mp3
Julien : …………..mec,……………….?
Fred : Ouais tranquille
Julien : J’peux te……………… une………………. ?
Fred : Tiens gars. C’est la ……………en ce moment c’est clair, j’ai plus une………….. en plus j’ai déjà tout …………….ce que mes parents m’ont donné Et toi mec ça roule ?
Julien : Ouais j’ai trouvé du …………….dans un magasin, j’ai un peu de tune et je peux m’acheter de la …………., pas besoin de mon……………., tranquille quoi.
Fred : Tu veux venir chez …………à 8h00. On ira …………ensemble après on bougera
Julien : Non mec, je vais au …………avec ma ………………quoi
Fred : Allez viens j’ te dit, après on ira faire la…………….. au café concert y ‘a de la bonne zik En plus ça va être trop………………. !
Julien : Ouais ça me ………………..bien. Je viendrai avec des ……………..
Correction du dialogue
Julien : Ouèche mec, ça gaze ?
Fred : Ouais tranquille
Julien : J’peux te taxer une clope ?
Fred : Tiens gars. C’est la galère en ce moment c’est clair, j’ai plus une tune, en plus j’ai déjà tout craqué ce que mes parents m’ont donné Et toi mec ça roule ?
Julien : Ouais j’ai trouvé du taf dans un magasin, j’ai un peu de tune et je peux m’acheter de la sape, pas besoin de mon rep, tranquille quoi.
Fred : Tu veux venir chez oim à 8h00. On ira grailler ensemble après on bougera
Julien : Non mec, je vais au cinoche avec ma meuf quoi
Fred : Allez viens j’te dit, après on ira faire la teuf au café concert y'a de la bonne zik. En plus ça va être trop mortel !
Julien : Ouais ça me botte bien. Je viendrai avec des tepos.
Parler djeunn’s et arabe dialectal
L’émergence des « beurs » dans la société française , notamment depuis l’alternance politique de 1981 a permis l’éclosion d’un nouveau langage, parti des banlieues défavorisées pour rayonner jusque dans les quartiers chics de la capitale en influençant au passage même les médias et les milieux intellectuels !
De l’arabité supposée des jeunes issus de l’immigration et nés dans les « quartiers ».
Pour une grande majorité de Français, cela paraît évident : ces jeunes, nés de parents arabes parlent forcément l’Arabe et sont de culture arabe et musulmane.
La réalité, évidemment est beaucoup plus complexe. Ces jeunes, descendants le plus souvent de plusieurs générations de populations immigrées ne sont, dans leur grande majorité pas dialectophones et n’ont qu’une connaissance très modeste de la culture arabe (pour ne pas dire nulle) et de la religion musulmane. Très souvent, la seule occasion pour eux de « pratiquer » l’arabe , c’est dans leurs rapports avec la mère, quand celle-ci, si elle-même n’est pas née en France fait l’effort de leur parler dans sa propre langue maternelle, c’est à dire dans une langue dialectale très locale qui n’a pas évolué depuis la date à laquelle la famille et/ou les ascendants ont quitté le pays d’origine.
Dans ce cas de figure (le phénomène est bien connu des socio-linguistes), la mère parle dans son « patois » local, avec un mélange de Français déjà fortement arabisé sur tous les plans : syntaxe, prononciation, lexique ; l’enfant comprend mais répond exclusivement en Français.
Conclusion, les jeunes n’ont qu’une connaissance passive de la langue et réduite aux rudiments nécessaires aux échanges quotidiens. Autrement dit, ces jeunes baignent dès leur plus tendre enfance dans un bain linguistique « Francarabe » où ni la langue française ni l’Arabe ne trouvent vraiment leur compte. C’est dans ce « no man’s Land » linguistique que va s’opérer l’étrange alchimie (encore un mot arabe !) qui donnera lieu à ces fameux parlers de banlieues qui donnent la migraine aux linguistes et font les délices des intellectuels, journalistes et écrivains.
http://www.dilap.com/contributions/banlieue-beur/beur-arabe.htm
Mutation du Français au contact de
l’Arabe maghrébin
La mère, justement. Contrairement aux poncifs qui font de la femme arabe un être soumis, écrasé, la mère joue un rôle pivot dans l’équilibre de la famille et de la société en général. Tant est qu’elle devient un enjeu suprême en cas de conflit : l’insulter, insulter celle de l’Autre, c’est lui infliger une ultime humiliation : Ta mère ! ! yemmâk ! ! Allier la grossièreté sexuelle , voir l’inceste, c’est faire encore plus fort : nike ta mère ! ! ! Nike yemmâk ! ! ! Qui a donné le fameux NTM .
Un langage des banlieues imaginaire et recréé de toutes pièces:
NTM - Pose ton gun - 1998
{Refrain:}
Boom boom bang bad boy pose ton gun
Boom boom bang avant qu’il n’y ait maldonne
Boom boom bang bad boy pose ton gun
Boom boom bang bad boy
Fixe fixe l’avenir auquel tu te risques
Fixe fixe tous les noms sur la liste
De ceux qui sont tombés avant leur 20ème année
N’ayant su gérer ce que la vie leur à donné
Trop immature, ça, sound boy tu l’es c’est sûr
Trop immature tu gères pas quand t’es biture
Put down tha gun Put down tha gun
Put down tha gun says Jaguar Gorgone
{Refrain:}
Les problèmes sont en effet de taille
Mais est-ce qu’on peut les résoudre à base de drive-by
T’es trop jeune mon gars, pose ton gun
Avant que ne sonne le glas
Ou bien ne résonnent les pas de celui qui va te mettre au pas
Joue pas les champions, non! joue pas les champions
Y a pas d’surhomme, et surtout personne n’a de serum
Contre la mort, alors
Alors prends soin prends soin des tiens d’abord
Et si tu biz, mec j’t’assures, ne t’éloigne pas du bord
Respecte les gens! Pas leur "gent-ar"
Qu’ils pèsent ou non, qu’ils viennent ou non du "’tié-quar" car
C’est fini le temps où, mon gars, tu pouvais tout
Contrôler, tout a changé surtout
Pose ton gun, mec, sinon c’est 10ans
Plus la mort d’un homme sur la conscience c’est pesant
Et puis si t’as les couilles de tirer
Va tirer sur les fourgons blindés
Prends de l’oseille au lieu de jouer
Avec la vie de familles entières
Fatiguées d’aller fleurir les tombes de nos frères
Tombés sous des rafales de balles
{Refrain:}
Tu marches comme un champion
Tu t’prends pour un champion
Le poids de ton "bre-lic" te mets sous pression
Fais gaffe y a d’autres champions
Comme toi qui jouent les cons
Tu prends des caillasses, yes maintenant c’est bon
Tout ceci n’a qu’un temps
Vivre dans l’excès à plein temps
Oh, cesse de perdre ton temps
Ou bien de brasser du vent
Put down tha gun, put down tha gun
Put down tha gun says Jaguar Gorgone
{Refrain:}
Précisons à toute fin utile que le verbe « niquer » est arabe et que s’il est indisponible dans les dictionnaires arabes, c’est que probablement il s’agit de la contraction du verbe nakaha (présent dans le Coran et qui signifie contracter mariage mais aussi par extension copuler dans le cadre du mariage).
Sur la tête de ma mère : vient directement de l’expression arabe u râs yemma !
Sur la vie de ma mère = u rûh yemma !
L’index raidi, levé vers le ciel (signe de la shahâda qui est la profession de foi musulmane) le jeune lance à la cantonade : « sur la tête de moi ! ». Traditionnellement, la grammaire n’admet pas l’emploi du pronom personnel « moi » après la préposition « de ».Nos éminents linguistes qui méconnaissent l’arabe se grattent la tête, perplexes : d’où ce monstre syntaxique peut-il provenir ? Mais de l’arabe, pardi ! L’arabe dialectal utilise le terme ntâ’ (de… propriété de…) suivi d’un pronom affixe : ntâ’I (à moi , de moi) . Ar-râs ntâ’I = la tête à moi .
A propos du terme râs qui signifie tête, l’arabe dialectal « populaire » s’est approprié le terme français « race » au sens non pas raciste et sans référence au genre ethnique mais plus benoîtement au sens de catégorie , genre, spécimen…
Cela a donné malheureusement : « nike ta race » = nike ar-râssa ntâ’ak !
Dans le langage « djeun’s », cette expression un peu glaçante pour des adultes signifie pourtant simplement, au choix :
- des gens comme toi, je les casse ; ou je m’en fais dix par jour.
- des gens dans ton genre, vraiment, j’aime pas.
Très souvent, l’adverbe passe en fin de groupe syntaxique. C’est là encore une particularité de l’arabe même littéral. On entend :
« il a niqué son examen carrément ! »
Notons au passage le verbe niquer en remplacement du verbe rater (décidément !)
Des expressions curieuses comme
- « vas-y ».
Dites dans des cas où le jeune est pris en défaut, où il subit des remontrances. A priori, un adulte non averti pourrait comprendre : « vas-y, continues, tu as le pouvoir sur moi etc…. ». Rien à voir ! L’expression signifie : vas te faire foutre ! Et à notre sens elle vient là encore de l’arabe « populaire » : rûh takhra = vas chier (ailleurs) !
En verlan « vas-y » devient « Ziva », et les jeunes banlieusards vont ainsi devenir des Ziva qu'on oppose linguistiquement aux « Céfran ». Expression emblématique, Le Ziva désigne non seulement les locuteurs, mais aussi leur langue :
Les « Ziva » enseignent leur langue aux « Céfran »
Des lycéens de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) viennent de publier un dictionnaire littéraire du langage des cités. Ils ont traduit des textes de Raymond Queneau ou d'Albert Cohen en parler « ziva ».
Écrit par Christine Mateus, paru dans Le Parisien, dimanche 03 octobre 2004
http://www.selefa.asso.fr/Peda02T5.htm
- Frère :
Autant que la mère, le frère a une place prépondérante dans la culture familiale et par extension dans tout le système social. Les maghrébins, depuis des lustres ont remplacé le terme de sayyid (Monsieur), jugé trop obséquieux par le terme de KhÛ, suivi d’un pronom affixe. khûya signifie à la fois « mon frère » au sens familial du terme, mais aussi plus trivialement : mon ami, mon cher, mon compatriote, voir « monsieur »…
Les jeunes l’emploient (même entre filles !) pour signifier connivences, amitiés, complicités….
http://www.dilap.com/contributions/banlieue-beur/beur-vocabulaire.htm
Le parler "beur" expressions courantes
Voici d es traductions directes de l’arabe, sans soucis du sens réel du terme employé en Français :
- « il ne m’a pas calculé » , pour dire, « il ne m’a pas pris en considération, il n’a pas fait attention à moi ». Cette expression vient de l’arabe :
ما دارنيش في الحساب ، ما حسبنيش |
le verbe حسب ، يحسب = compter, calculer. Ce qui rejoint d’ailleurs l’expression purement française « tenir compte de… ».
Sans passer par la traduction, de nombreux verbes arabes sont utilisés directement, mais pour éviter les difficultés morpho-syntaxiques, ils le sont à l’état « figé » c’est à dire sans égards ni pour les règles de conjugaison du Français , ni pour celles de l’Arabe :
- hagar =حقر - يحقر . Etymologiquement, en arabe littéral ce verbe signifie : mépriser ; en arabe algérien il a pris pour sens : commettre une injustice - dans le sens d'abus de pouvoir, de force - , mais aussi faire violence à quelqu’un . Ainsi, on entend chez les jeunes : « tu t'es fait hagar « = tu t'es fais taper. Mais aussi : « tu t'es fais hagar ton portable »
- Khaf : خاف - يخاف (kh = prononcer à l’espagnol , jota, juan). En arabe = avoir peur. On entend ; « il a khaf » = il a eu peur.
Inversement, des verbes français sont arabisés, mais curieusement utilisés aussi à l’état figé : afficher, s’afficher, faire l’affiche = ficha. ( Ainsi utilisé, il correspond en arabe à l’accompli, 3 ème personne du masculin singulier = équivalent de l’infinitif français).
- Ho la la ! il s’est ficha devant les filles ! = il s’est planté, il s’est ridiculisé.
Au delà de ces distorsions syntaxiques, il y a évidemment beaucoup de substantifs arabes incrustés avec une prononciation française qui les rend parfois méconnaissables :
- lahas : en arabe, léche-cul, flagorneur. En parler banlieue, il a changé de sens : - c’est la has = c’est la galère ! Appliqué à un individu : - il est dans la has = il est en taule (en prison)
- la halla : en arabe littéral, la situation, l’état des choses . En arabe algérien, ambiance, quelque chose d’événementiel, qui ne passe pas inaperçu. On entend : - faire la halla = faire la fête, mais aussi faire du grabuge !
Beaucoup de termes, FEMININS en arabe, deviennent curieusement MASCULIN en passant au Français :
- LE dawa : synonyme de hâla (la halla) en arabe algérien a pris le sens de pagaille, bordel : - foutre le dawa !
- LE terma : le cul . - Elle a UN gros terma. (Sans doute parce que les termes cul et bordel sont au masculin en Français).
Verbes substantivés :
- Chouffe = voir en arabe dialectal. Cela donne en parler djeunn’s : - faire la chouffe = faire le guet.
- Le seumm : le poison en arabe. - J’ai le seumm = j’ai la rage, la haine. C’est aussi semble-t-il le nom d’une drogue spéciale.
De l’arabe francisé et « verlanisé » :
- Bled = بلاد . En arabe, pays ou région. Blédard (1926 : soldat français servant dans un bled) chez les jeunes ne signifie pourtant pas comme chez les adultes plouc, paysan, mais plutôt raté, maladroit, cancre… Il est surtout utilisé dans sa version « verlanisée » : darblé.
Vidéo : "un darblé ki chante"
Un truc de ouf complétement déglingo :
DÉGUSTATION DE BOISSON UN PEU BLÉDARDE !
Des intrus « zarbi » : Nous perdons malheureusement dans le mouvement le savoureux « zaama » (soit-disant) au bénéfice du bizarre crari lequel, c’est sûr, n’a rien d’arabe !
- Crari, il joue le ouf = zaama il joue le fou = soit-disant il fait le con ; il se la joue (il se ment à lui-même).
Les jeunes d’origine africaine et musulmans ont bien sûr leur part d’apports dans ce langage en constante mutation, notamment avec des expressions d’origine religieuse qui ont transité par les accents dialectaux africains :
- Starfoulay (prononcer starfoulaï) = أستغفر الله je demande l’aide de Dieu.
- Layester = يستر الله que Dieu protège.
Le phatique
Nous employons ce néologisme linguistique pour désigner tout mot ou expression qui permet d’amorcer une conversation ou de l’entretenir en cas de discours continu : Allo ? Pour rentrer en contact avec la personne qui appelle. Je veux dire….. C’est à dire que…. Les mots ou expressions phatiques d’origines arabes sont légion. Dans le langage des jeunes :
- walla : والله = par Dieu, par Allah = je te jure par Allah = je t’assure que….
- Billa :بالله = même sens.
http://www.dilap.com/contributions/banlieue-beur/beur-arabe-francais.htm
« Parler jeune » ou « langage racaille » ?
Mitterrand en 1985, Sarkozy en 2007 ont recouru au « langage jeune » pour des raisons de relations publiques avec cette partie de l’électorat qu’on appelle « les jeunes. »
Mitterrand, pas plus que les autres hommes politiques de l’époque, ne bénéficiait d’une bonne image auprès des « jeunes » : Le chanteur Daniel Balavoine prendra la parole de force à la télévision quelques temps avant les élections présidentielles de 1981 :
Mise en ligne le 18 janv. 2012 par PUPUCE472
Balavoine :
« un petit merdeux qui a du culot » - « j’aurais pu dormir beaucoup plus tard » « ça n’intéresse pas la jeunesse de savoir que George Marchais, secrétaire du PC, accomplissait son STO dans une usine Messerschmitt »« ça intéresserait la jeunesse de savoir d’où le parti communiste obtient son argent pour le dépenser à Bagnolet » « la gestion de la mairie de Marseille par le socialiste Gaston Deferre » « On s’en fout de G. Marchais, on s’en fout des problèmes de drogues comme ils sont traités par les ministres français » « les ministres de la jeunesse sont tous des vieux, ils ne sont pas représentatifs ! » « A qui les travailleurs immigrés payent les 700 francs de loyer pour vivre des poubelles ? » « les affaires : Boulin (1979), Fontanet (1980), de Broglie (1976), du juge Renaud (1977) » « j’en ai d’autres ! » « les média ne donnent jamais la parole aux jeunes ! » « la jeunesse se désespère et lance un avertissement aux grandes personnes qui dirigent ce monde, elle n’a plus d’appui, elle ne croit plus en la politique française, le désespoir est mobilisateur et entraîne le terrorisme, la bande à Bader…
Mitterrand :
« La façon de penser, de réagir, de s’exprimer par LEKRI et la musique typique de
centaines de milliers de jeunes conditions de vie, banlieues, logement, loisir, béton et le chômage comme seule perspective
et j’écouterai ce qu’il a à me dire. »
Mais, entre le centre du pouvoir et la périphérie, difficile de se comprendre :
Le problème des émeutes en banlieue
(violences urbaines, péri-urbaines) :
Les premières émeutes urbaines ont lieu en 1979 dans le quartier de la Grappinière, à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon : des jeunes affrontent les forces de l'ordre et incendient des voitures.
Depuis ce premier exemple, le nombre d’émeutes en « banlieue » qui ne font que gagner en fréquence et en intensité en affrontements avec la police, après des bavures policières.
AF : Quelle est la différence entre vos « sauvageons » et la « racaille » de Nicolas Sarkozy ?
Jean-Pierre Chevènement : J’ai utilisé le terme de « sauvageon » en 1998, devant l’assemblée nationale. J’incriminais alors l’assassinat d’une épicière par un mineur de 14 ans. Etymologiquement, le sauvageon est un arbre non greffé. J’incriminais donc l’insuffisance de l’éducation, celle des parents comme de l’école. Il y a une différence complète de conception avec la « racaille » de Sarkozy. Sauvageon est à la fois ironique et pédagogique. Ce n’est pas une injure.
http://republique.blogspirit.com/archive/2006/07/11/jean-pierre-chevenement-j-ai-40-ans-d-avance.html
2005 à Argenteuil – Nicolas Sarkozy :
Mise en ligne le 2 déc. 2006 par sterd007
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy reste dans l'actualité de la création lexicale car il est lié au "Karachigate" :
http://karachigate.blogspot.com/
Vidéo de N. Sarkozy en 2009 : "la fable"
Argot et verlan
https://sites.google.com/site/passetondalf/decouvrir/argot-et-verlan
Un bref historique du verlan :
Laisse béton - Renaud 1977, la période "loubard" :
http://www.parolesmania.com/paroles_renaud_9473/paroles_laisse_beton_331395.html
Sitographie complémentaire :
Société d’Études Lexicographiques et Étymologiques Françaises & Arabes
http://www.selefa.asso.fr/
Le blog des profs de l'Institut français à Madrid : (le langage "jeune")
http://cours.ifmadrid.com/prof/archives/2504
https://is.muni.cz/www/12093/articles/2010/actes/circulation.pdf
UC Louvain, Centre de traitement automatique du langage
http://www.uclouvain.be/271468.html
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Dernière mise à jour : 19/06/2016