UNE PLATEFORME COLLABORATIVE COMME MICROSITUATION D’APPRENTISSAGE : CAS D’ETUDIANTS ETRANGERS DE L’UNIVERSITE DE BORDEAUX
Sandrine Bazile
Université de Bordeaux 3
sandrine.bazile@orange.fr
Depuis 1990, l’apparition des technologies de l’information et la communication a permis l’évolution de la didactique des langues et notamment du français langue étrangère. En introduisant dans un premier temps le multimédia dans l’apprentissage/enseignement des langues, les TIC ont apporté dimension ludique, convivialité, interactivité mais aussi rêve de massification de l’enseignement /apprentissage des langues, avec, dans un deuxième temps, le développement des offres de formation à distance ou hybrides.
Avec leur développement progressif, les TIC se sont donc diversifiées de la bureautique à la création de pages Web sur Internet et offrent désormais une formidable potentialité de travail collaboratif : communication rapide, élaboration de projets communes, co-contruction entre apprenants, négociations, les environnements numériques de travail ou les plateformes de formation, comme Dokeos ou Moodle dont il sera ici question, permettent, par la variété de leurs fonctionnalités et des outils proposés (courriel, forums, wikis, glossaires…), de repenser l’apprentissage /enseignement en FLE.
Au-delà de ces bénéfices indéniables, nous tenterons de montrer que l’utilisation des TIC, dans le cadre du cours de FLE, ne relève pas d’une simple volonté de faciliter les échanges à distance mais fait partie intégrante de l’apprentissage en présentiel. Son intégration au cours de FLE découle d’un choix didactique lié ici à une situation d’enseignement précise, apparentée au FOU ; pour ce faire, nous postulons que le cours de FLE puisse devenir un modèle réduit des situations d’apprentissage rencontrées par ces apprenants et que l’intégration de la plateforme et ses fonctionnalités au cours de FLE permet précisément, selon nous, de mettre en œuvre ce choix didactique.
Après avoir rapidement défini le public, les enjeux des formations concernées, nous reviendrons sur les difficultés et les contraintes inhérentes à ces situations d’apprentissage. Puis, nous montrerons comment les plateformes Dokeos et Moodle peuvent assister les publics concernés en proposant des activités langagières aptes à permettre à ces apprenants à reconstruire les différentes étapes des processus d’apprentissage en jeu dans leurs cours de spécialité à l’université française.
Deux groupes d’étudiants ont donc été concernés par ces expériences : d’une part, à l’Université de Bordeaux 2, un groupe d’étudiants d’origine très diverses (Thaïlande, Chine, Afrique noire, Maghreb, Europe de l’Est) et de niveau très hétérogène allant de A2/B1 à C2. Ces étudiants sont tous inscrits en Licence 1 de sciences de la vie – ils suivent donc les même cours de spécialité – et ne bénéficient d’aucun programme d’échange. Un cours de Français Langue Etrangère (FLE désormais) est mis en place par leur UFR à raison de 10 séances de deux heures au second semestre et concernent un petit groupe d’une quinzaine d’apprenants au plus. D’autre part, à l’Université de Bordeaux 4, le second groupe d’apprenants est un groupe plus homogène quant à son niveau puisqu’il s’agit d’apprenants dits avancés (B2 à C2), inscrits dans des disciplines très variées (Economie, droit, science politique) en licence 3, master 1 ou 2. Certains d’entre eux sont boursiers d’un programme d’échange (cas des apprenants chinois ou vietnamien inscrits en master) ; d’autres bénéficient de programme Erasmus et proviennent de divers pays européens (Angleterre, Irlande, Allemagne, Pologne, Italie, Lituanie). Ils suivent des cours de spécialité et les Relations Internationales de leur Université a mis en place un programme de soutien en FLE : ces cours ne sont pas des cours de langue de spécialité ; le besoin déclaré est celui d’un renforcement, d’un soutien linguistique visant une insertion plus facile dans les cours (compréhension orale des contenus, prises de notes, échanges scientifiques, adoption des exercices formels requis par l’institution. Les contenus doivent mettre l’accent sur les compétences de compréhension écrite et orale, à partir notamment de l’étude de la langue générale et le cas échéant de spécialité. Le soutien linguistique, ainsi qu’il est nommé, se déroule sur deux périodes, la première intensive de quatre semaines en septembre à raison de 16 heures hebdomadaires puis d’une seconde extensive de deux heures hebdomadaires et concernent un groupe global de 45 étudiants.
Les difficultés liées à ces deux formations apparaissent clairement à la lecture de ce descriptif : hétérogénéité des niveaux, des langues maternelles, des cultures, mais aussi temps de formation trop bref ou tardif, diversité des spécialités étudiées par ces apprenants… D’autres contraintes matérielles ou organisationnelles viennent se surajouter à ces paramètres : les différentes formations des étudiants de Bordeaux 4 sont lourdes en termes d’horaires et très diverses – science politique, économie, droit des affaires, droit international, droit privé… – bien souvent, les étudiants ne peuvent assister à tous les cours de la période extensive. De fait, l’organisation des contenus pédagogiques et leur progression apparaissent comme une gageure. En effet, du point de vue des contenus, que ce soit dans la première situation ou la seconde, la diversité des niveaux ou des langues de spécialité, le faible volume horaire ou l’impossibilité pour les apprenants de suivre régulièrement les cours obligent l’enseignant à repenser les modalités de la formation en présentiel. Dans le cas des apprenants Erasmus de Bordeaux 4, il est ainsi quasiment impossible de savoir qui sera présent au cours suivant ni quel sera l’effectif. Par ailleurs, l’effectif des groupes, faible d’un côté, très lourd de l’autre empêche le cours en présentiel de trouver une dynamique d’apprentissage commune.
Face à ces paramètres de cours, il convient de trouver une solution qui sera avant tout pédagogique. Nous postulons que l’utilisation de la plateforme pédagogique peut contribuer à tisser le fil conducteur de l’organisation pédagogique du cours et remédier à certaines contraintes inhérentes au dispositif de formation.
Définition de la notion de dispositif de formation hybride
Selon Holtzer (2002), le dispositif de formation hybride est :
Un ensemble organisé de structures, de ressources et de moyens mis en place en fonction d’un projet pédagogique. Un dispositif de formation en LE (langue étrangère) combine des espaces d’apprentissage pluriels (salles de cours, centre de ressources, espaces de conversation…), chaque espace donnant lieu à des modalités d’apprentissage différentes (apprentissage collectif, en petits groupes, en binôme, individuel) et ayant une fonction pédagogique spécifique (enseignement, autoapprentissage, apprentissage collaboratif, tutorat…). Un dispositif […] implique qu’il existe une cohérence entre les espaces d’apprentissage pensés dans leur interrelation et leur complémentarité. (p. 14)
Deschryver et Peraya (2006) dépassent l’articulation entre présence, distance et environnement technologique en proposant la définition suivante :
Un dispositif de formation hybride se caractérise par la présence dans un dispositif de formation de dimensions innovantes liées à la mise à distance. Le dispositif hybride, parce qu’il suppose l’utilisation d’un environnement technicopédagogique, repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation. (p. 481)
Nous retiendrons de ces éléments :
- La diversité des espaces de formation qui alterne présentiel et plateforme numérique,
- La diversité des modalités d’apprentissage (individuel, collaboratif, en binôme),
- Un environnement technicopédagogique,
- Des formes complexes de la médiatisation et de la médiation,
- Une cohérence pédagogique.
Le dispositif d’apprentissage que nous décrivons se déroule en des lieux distincts, et s’appuie donc sur un environnement technologique. Dans le dispositif de formation que nous mettons en place ici, dans les deux situations d’apprentissage/enseignement évoquées ci-dessus, le présentiel est réservé à l’activité d’apprentissage qui coïncide ici avec la réalisation d’une tâche complexe que nous définirons plus loin, tandis que la distance revêt une double fonction : pour les étudiants absents lors des séances en présentiel – essentiellement parce qu’ils sont pris ailleurs par des cours de spécialité, il s’agit de découvrir des contenus ou supports de cours et de participer à la tâche proposée ; pour les étudiants en présentiel, il s’agit de prolonger la réflexion engagée dans le cours, de favoriser la remédiation.
La cohérence du dispositif est assurée par la mise en place d’un scénario pédagogique qui décrit une séquence et des objectifs pédagogiques mais aussi les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs :
Un scénario d'apprentissage représente la description, effectuée a priori (prévue) ou a posteriori (constatée), du déroulement d'une situation d'apprentissage ou unité d'apprentissage visant l'appropriation d'un ensemble précis de connaissances, en précisant les rôles, les activités ainsi que les ressources de manipulation de connaissances, outils et services nécessaires à la mise en œuvre des activités. (J.P.Pernin, 2003)
Chacun des scénarii proposés prévoit une planification des activités d'apprentissage, un horaire, une description des tâches des étudiants, des modalités d'évaluation « qui sont définis, agencés et organisés au cours d'un processus de design ».
Le scénario apparait bien ici comme un processus systématique qui tient compte de la prise en compte de facteurs agissant sur l’apprentissage et autour duquel s’articulent les activités d’apprentissage et langagières. Deux séries d’activités sont ainsi proposées en ligne. Les unes concernant la préparation ou le prolongement de l’activité en présentiel : lecture des documents proposée, débat, prise de position sur les sujets proposés. Les autres concernent des activités de réflexion, de négociation ou de collaboration en vue de la réalisation des premières : en l’occurrence, les apprenants peuvent échanger sur les consignes, s’assurer de leur bonne compréhension. Ces deux séries d’activité s’articulent autour d’une tâche : une liste d’exposés est ainsi constituée. Ces thèmes en relation avec les domaines de spécialité des apprenants sont alimentés par des documents – textuels ou iconographiques – déposés sur la plateforme : ces textes font l’objet d’une synthèse dont la méthodologie a été travaillée en cours. Puis les apprenants chargés de la présentation orale livrent le résultat de leur réflexion. A tour de rôle, les autres étudiants prennent l’exposé en notes ; un glossaire en lien avec la langue de spécialité employée est élaboré : le choix des mots à définir est négocié par le groupe ; les définitions sont contextualisées par des références aux cours de spécialité. Chaque exposé est suivi d’une discussion également prise en notes. Les différentes prises de notes sont déposées sur la plateforme, éventuellement complétée par les autres étudiants. Les étudiants peuvent enfin s’impliquer dans la discussion qui suit, dans le cadre du forum, à distance mais également en présentiel, surtout s’ils hésitent à prendre la parole ou si le groupe est surchargé.
Intérêts et avantages du dispositif et du scénario proposés
Les avantages de ce genre de dispositif sont divers et certains sont très connus : je ne ferai donc que les mentionner.
1- Une réponse logistique
D’une part, la mise en place de la plateforme permet ainsi dans un premier temps de répondre aux questions d'ordre essentiellement logistique en mettant en place un dispositif plus flexible adapté à un public et des conditions diversifiés, notamment en aménageant des temps et des lieux de formation différents. Ainsi permet-elle de résoudre un certain nombre de problèmes liés aux conditions d’enseignement. Dans un premier temps, elle permet d’alléger le suivi individuel des apprenants du groupe évaluation de l’assiduité, groupes surchargés, hétérogénéité des compétences…) ou à l’organisation pédagogique. La réalisation de ces deux séries d’activités compose une tâche complexe dont l’objectif pourrait être décrit comme la co-construction d’une base de ressources textuelles, linguistiques ou méthodologiques destinée aux apprenants du groupe.
2- Une motivation accrue et des situations de communication variées
D’autre part, nous postulons, à l’instar de Soubrié (2005), que l’externalisation de la formation par le recours à une plateforme de e-Learning favorise une participation active et un engagement constant de la part des apprenants Ces activités décrochées permettent la résolution de problèmes, un travail collaboratif (recherches d’idées, co-construction du sens…) ; elles permettent tantôt d’introduire des notions qui feront l’objet de développement en présentiel sous la forme d’exposés, tantôt de prolonger les débats du cours, tantôt de réfléchir ou de mettre en pratique les points méthodologiques abordés au préalable en cours (synthèse de documents, recherche d’information, compréhension…).
3- L’individualisation des apprentissages
En outre, le dispositif permet l’individualisation des apprentissages, la création d’un parcours de formation propre à chaque apprenant (curriculum)… Cela est particulièrement sensible si l’on considère les niveaux très hétérogènes des étudiants de sciences de la vie et la grande diversité des langues de spécialité pour les étudiants de Bordeaux 4. L'essentiel est de donner la possibilité à tous les étudiants de s'exprimer, de faire part de leurs réflexions et des difficultés qu'ils rencontrent parfois dans la compréhension de certaines notions, ce qui est difficilement envisageable en présentiel. L'intérêt pédagogique des forums de discussion n'est en ce domaine par exemple plus à démontrer :
[…] le principal atout des forums pédagogiques est lié à la permanence et au caractère structuré de l'écrit, ainsi qu'à la modalité asynchrone, qui permettent d'une part l'expression quasi illimitée des participants à la formation, d'autre part une réflexion approfondie. Le caractère public des interactions permet pour sa part un certain degré de cognition partagée […] (Mangenot, 2004).
4 - Le dispositif comme microsituation d’apprentissage.
Par ailleurs, l’apprenant est amené à accomplir les mêmes étapes du travail demandé, faisant alterner les situations langagières (compréhension orale, expression écrite, production orale, compréhension écrite). Situations langagières en lien avec situations rencontrés en cours, langue de spécialité Or, l’intégration de la plateforme et ses fonctionnalités au cours de FLE permet précisément, selon nous, de mettre en œuvre ce choix didactique, d’une part parce qu’elle permet de simuler, facilement et naturellement, les pratiques courantes à l’Université (interaction oral/écrit, travail de reformulation immédiate, transcription ou prises de notes). C’est l’un des deux points sur lesquels j’insisterai ici.
5- Un outil complexe de médiatisation et de médiation et une nouvelle place pour l’enseignant
De ce fait, l’environnement technicopédagogique a ainsi une double fonction : d’une part, il est bien, de façon classique, un outil de médiatisation, dans le cadre de la distance comme dans le cas du présentiel ; d’autre part, il est un vecteur du travail de médiation de l’enseignant notamment en présentiel, enseignant qui assure la procéduralisation des activités d’apprentissage. L’enseignant guide l’apprenant dans la réalisation de la tâche ; mais nous verrons également que le dispositif et les fonctionnalités de la plateforme peuvent relayer l’enseignant dans sa tâche de médiateur.
La procéduralisation de la tâche
Le scénario et les activités proposées, à travers les différentes fonctionnalités de la plateforme, permettent de baliser les étapes de la tâche et donc du processus cognitif en jeu. Ce qui apparaît au début comme une simple activité langagière est peu à peu perçue comme la scénarisation des tâches présentées dans les cours de spécialité. Ainsi le scénario est-il conçu comme une microsituation des situations d’apprentissage rencontrées à l’université. Chaque activité langagière met donc en œuvre un savoir-être attendu en cours de spécialité.
Le dispositif rend alors opérant la simulation de la posture d’apprenant attendu à l’Université française. D’une part, il invite l’apprenant à rester actif et vigilant, en stimulant son activité d’une façon systématique : il favorise ainsi l’automatisation de certains savoir-être. Ainsi les étudiants de sciences de la vie, à la suite du glossaire réalisé en cours de FLE décident de constituer des glossaires collaboratifs dans leurs disciplines de spécialité, afin de faciliter l’acquisition de concepts nouveaux, notamment en biochimie ou en histoire des concepts biologiques. D’autre part, le fait de rendre l’activité d’apprentissage visible puisque liée à une activité-outil de la plateforme permet à l’apprenant de mieux appréhender les attentes de l’institution et des enseignants en matière d’autonomie et de travail personnel : « être attentif, actif », « impliqué pendant le cours », « travailler son cours », « approfondir le cours » sont des notions floues pour un apprenant étranger ; elles ne revêtent aucune réalité tangible. Il incombe pour l’enseignant de permettre à l’apprenant de comprendre l’implicite des ces demandes de façon à conscientiser les savoir-être qu’elles recoupent.
Correspondance entre demande institutionnelle / activités langagières / outils / savoir-être et savoir-faire.
Demande des enseignants |
Savoir-être ou savoir-faire en jeu |
Activité langagière en cours de FLE ou activité cognitive ou métacognitive en jeu |
Activité/outil de la plateforme |
· Préparer le cours |
· Inférer les éléments textuels du cours (si celui-ci est déposé) ou des lectures préalables · Synthétiser des points de vue différents à partir de documents variés |
· Lecture des textes à compréhension écrite · Synthèse courte ou questions suscitées par le texte à compréhension écrite et production écrite longue ou courte |
· Forum (activité méta – négociation autour de chaque thème pour chaque groupe · Dépôt de devoirs ou dépôt de fichiers |
· Etre attentif (cours magistraux), être actif (TD) |
· Repérer les concepts en jeu pour pouvoir les noter
|
· Repérage des mots-clés à compréhension orale · Négociation choix des concepts à production orale |
· Wiki glossaire |
· Noter le cours |
· transcription
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· wiki |
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· Apprendre le cours, le comprendre |
· S’approprier le cours · Le mémoriser |
· reformulation |
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· Etablir des liens vers d’autres disciplines |
· Savoir transférer (connaissance déclarative : connaître le mot) à connaissance procédurale et conditionnelle, (savoir quel mot utilisé et quand) |
· Contextualisation · Transfert |
· Forum · Nouveaux glossaires (de spécialité) |
· Etre actif dans le cours, poser des questions, questionner les informations reçues |
· Questionner, prolonger la réflexion · Savoir synthétiser des points de vue différents |
· Débat suscité par les apprenants chargés de l’exposé à interaction orale · Prise de notes à compréhension orale · Transcription · Reformulation à production écrite collaborative |
· Forum · Wiki |
· Mettre en relation les informations · Répondre aux attentes de l’examen |
· Savoir convoquer les savoirs utiles · Savoir les sélectionner · Savoir les organiser |
· Evaluation à production écrite |
· Travail de production : bilan (travail à l’interculturel) à utilisation des différentes productions |
Au début de la formation, la demande des apprenants porte d’abord sur les contenus, les savoirs ou connaissances déclaratives et plus particulièrement, ce qui est souvent récurrent en FOS ou en FOU, sur le lexique de la langue de spécialité. Peu à peu, leur intérêt se déplace sur la réalisation de la tâche et plus la formation avance, plus la négociation du choix des termes et leur contextualisation, au début laborieuses, font sens pour les apprenants qui les incluent de plus en plus spontanément dans leur travail : il est intéressant de constater que le glossaire comporte de nombreux termes au début de la formation ; peu à peu, le glossaire est de moins en moins alimenté au profit des interventions orales ou écrites – dans le forum : négociation du choix, du sens des mots selon les disciplines (économie, droit ou science politique) ou le contexte d’utilisation (sens courant ou scientifique – exemple : « évolution » en sciences de la vie). Les différentes fonctionnalités de la plateforme et leur utilisation successive permettent ainsi à l’apprenant de conscientiser les différentes étapes de ses activités d’apprentissage dans un cours. Il a alors la possibilité de construire une attitude active alors même que la particularité des formations universitaires est de souvent placer les apprenants dans une situation de passivité : prise de notes, lecture…
Le travail réalisé sur Dokeos ou Moodle tente de redonner l'initiative aux apprenants, de développer leur implication dans leur formation et s’inscrit dans une pédagogie active qui met l'accent sur la réalisation de tâches mais donne également une place accrue à la réflexion métacognitive.
Ce qui nous conduit à mieux définir la notion de microsituation en lien avec la notion de micromonde qui avait été développée à la fin des années 70, dans le domaine du langage informatique ; cette dernière peut servir de comparaison à cette microsituation. En effet, dans un micromonde, l’ordinateur-outil devient un ordinateur-médiateur. Tout comme le micromonde était une passerelle, un objet transitionnel entre les apprentissages intuitifs et les apprentissages formels, les microsituations élaborées ici tentent d’établir des liens sémantiques forts entre le formel – l’abstraction, ici le processus cognitif – et le réel – simulé, ici la réalisation de la tâche complexe. C’est ce lien tensif qui finit par questionner la réflexion métacognitive de l’apprenant.
De fait, et c’est le deuxième point sur lequel je voulais insister, cela oblige l’enseignant de langue à reconsidérer la façon dont se fait l’apprentissage, il doit dépasser la seule présentation des savoirs déclaratifs, et se rencontrer sur l’interaction entre l’apprenant et le média de façon à maintenir ce lien ; ce faisant, il doit pouvoir favoriser la procéduralisation de son activité : « Procéduraliser, c’est prendre conscience de l’organisation de l’action et l’expliciter dans un langage adéquat » (Malglaive : 1990).
On pourrait penser que ici, comme traditionnellement, la présentation des savoirs est laisse au média (exposé, textes supports, glossaires) tandis que celle de l’enseignant sera d’exploiter l’interaction entre apprenant et média au travers notamment de la scénarisation de la tâche :
La scénarisation est avant tout un travail de conception de contenu, d’organisation des ressources, de planification de l’activité et des médiations pour induire et accompagner l’apprentissage, et d’orchestration, c’est-à-dire d’intégration des contributions des différents spécialistes qui travaillent à la conception et à la réalisation du scénario dans l’environnement. (...) Avec, d'une part, l'essor des approches cognitiviste et constructiviste qui placent l'apprenant au cœur du dispositif d'apprentissage, et d'autre part, l'intégration dans des environnements d'apprentissage informatisés, le scénario, initialement centré sur le contenu pédagogique (scénario médiatique), est devenu pédagogique, déplaçant davantage l’attention vers les activités de l’apprenant et de l’enseignant, les usages de l’environnement et leur planification. (...)
Si la plateforme assure traditionnellement la tâche de médiatisation, l’enseignant en détient plus seul la tâche de médiation. Cette tâche de médiation apparait doublement déléguée ; d’une part, l’enseignant délègue une part de la remédiation à l’apprenant dans le cadre des activités collaboratives : wiki, glossaire collaboratif sous Moodle notamment aux apprenants. Cet usage est particulièrement intéressant dans la perspective de la prise de notes où le sens se construit peu à peu D’autre part, la tâche, parce qu’elle est scénarisée, devient elle-même devient facteur de médiation entre le sujet apprenants et les savoir-être, savoir-faire utiles à l’Université : l’environnement technicopédagogique en permettant le morcellement visible de la tâche permet à l’apprenant de venir acteur de la procéduralisation des apprentissages. Ce glissement interroge en termes d’apprentissages les frontières mêmes entre médiation humaine et médiation technologique.
Pour conclure, l’intégration de la plateforme et ses fonctionnalités au cours de FLE ne permet donc pas seulement de résoudre les problèmes liés aux conditions d’enseignement (évaluation de l’assiduité, groupes surchargés, hétérogénéité des compétences…) ou à l’organisation pédagogique (individualisation des apprentissages, création d’un parcours de formation propre à chaque apprenant…). Elle permet également de simuler les pratiques courantes à l’Université (interaction oral/écrit, travail de reformulation immédiate, transcription ou prises de notes), en favorisant des postures d’apprenant stimulantes (collaboration, co-construction, entraide…) qui apparaissent souvent comme des situations inédites à l’Université. Enfin, elle permet de questionner la place et le rôle de l’enseignant (notamment au cours des phases de révisions de l’écrit et de remédiation) mais surtout ceux de l’apprenant étranger confronté à un nouveau système éducatif en lui permettant d’infléchir ses stratégies de travail et d’apprentissage, de conscientiser des enjeux et objectifs de la formation, en somme d’acquérir l’autonomie nécessaire à la co-construction de ses apprentissages.
Cependant, si l’on ne peut nier l’apport novateur des TIC dans la didactique des langues et notamment du FLE, il convient de rappeler les limites de cet apport en soulignant deux conditions nécessaires à de tels profits : d’une part, l’adaptation des fonctionnalités de l’environnement technicopédagogique qui doivent répondre à la demande de la formation et de l’apprentissage et non l’inverse, d’autre part, le nouveau rôle essentiel de l’enseignant-tuteur qui doit rester le garant du processus de médiation et de médiatisation.
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