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14 mai 1610

Le Mercure François. Tome 1 1605-1610.

http://mercurefrancois.ehess.fr/picture.php?/1817/category/31

Transcription (l'alphabet est modernisé – à l'exception du signe ɚ : « et » différent du & transcrit « et »- mais l'orthographe d'origine est respectée)

 

1610. Suite de l'histoire de la paix.

 

Le Roy assassiné dans son carrosse par Ravaillac.

(P.416 r.) Entre trois et quatre heures de relevee il saute en son carrosse à l'entree de la court du Louvre et se met au fonds, il fait entrer dedans les Ducs d'Espernon et Montbazon, Roquelaure, et trois autres:deffendant à ses gardes le suivre. Quel mal heur ! car un maudit François Ravaillac (qui selon ce qu'il a respondu en ses interrogatoires avoit dés long temps premedité de l'assassiner) le regardant sauter dans le carrosse arresté par des charettes, sa Majesté au fonds tournant le visage et panché du costé de Monsieur d'Espernon, ce monstre animé du diable, sans respect de l'onction sacree dont Dieu (p.416 v) honore les Roys ses Lieutenants en terre, se jette sur sa Majesté, et passant son bras au dessus de la rouë du carrosse luy donna deux coups de cousteau dans le corps, et estendit tout roide mort ce grand Roy au milieu de ses plus valeureux et fidelles Capitaines.

Il donna ces deux coups si promptement qu'ils furent plustots receus que veus : le premier porté entre la cinquiesme et sixiesme coste perça la veine intérieure vers l'oreille du cœur et parvint jusques à la veine cave qui se trouvant coupee fit à l'instant perdre la parole et la vie à ce grand Monarque : Quand au second il ne pénétra pas autant et n'effleura guerres que la peau.

Personne n'avait veu frapper le Roy, et si ce parricide eust jetté son cousteau on n'eust sçeu qui ç'eust esté : mais il ne le peut jamais lascher : Les six Seigneurs qui estoient dans le carrosse en descendirent incontinent ; les uns s'empeschans à se saisir du parricide : et les autres autour du Roy ; mais un d'entr'eux voyant qu'il ne parlaît point et que le sang luy sortoit par la bouche, s'escria, Le Roy est mort : A ceste parole il se fit un grand tumulte, et le peuple qui estoit dans les ruës se jettoit dans les boutiques les plus proches les uns sur les autres, avec pareille frayeur que si la ville eust esté prise d'ennemis ; Un des Seigneurs soudain s'advisa de dire que le Roy n'estoit que blessé, et qu'il luy avoit pris une foiblesse : On demanda du vin, et tandis que quelques habitans se diligentent d'en aller querir, on abat les portieres du carrosse (p.417 r), et dit on au peuple que le Roy n'estoit que blessé, et qu'ils le remenoient vistement au Louvre pour le faire penser.

La Royne reçeut dans son cabinet ceste triste nouvelle ; et toute esmeuë en sortit incontinent pour aller veoir celuy qu'elle honoroit le plus en ce monde privé de vie : Mais Mr le Chancelier qui estoit lors au Conseil, où pareil advis estoit venu, estant monté vers elle, la rencontra à la sortie, et l'arresta ; Elle dés qu'elle le veit, luy dit, Helas ! Le Roy est mort : luy, sans faire semblant d'aucune esmotion repartit ;

 

Paroles du Chancelier à la Royne.

Votre Majeste m'excusera, les Roys ne meurent point en France : Puis l'ayant priee de rentrer dans son cabinet, il luy dit : Il faut regarder que vos pleurs ne rendent nos affaires deplorables, il les faut reserver à un autre temps. Il y en a qui pleurent ɚ pour vous ɚ pour eux : C'est à vostre Majesté de travailler pour eux ɚ pour vous. Nous avons besoin de remedes ɚ non de larmes.

 

Ordre que la Royne mit à Paris sur la soudaine mort du Roy.

Le sieur de Vitry Capitaine des gardes eut aussi tost commandement d'assembler tous les enfans du feu Roy en une chambre, et entre autres le Roy à present regnant Loys XIII. son fils aisné (lequel s'estant exercé à tirer des armes, estoit sorty du Louvre dans un carrosse peu aprs son pere,) et que personne n'eust à approcher d'eux.

Mrs les Ducs de Guise et d'Espéron eurent charge de monter et faire monter à cheval le plus de Noblesse qui se pourroit, et aller par toute la ville dire que le Roy n'estoit que blessé : et empescher toute assemblee et esmotion Chacun est tesmoin du fidele devoir qu'ils rendirent (p.417 v) en journee à la Couronne.

Le Duc de Sully sur le bruit que le Roy estoit mort, puis blessé, s'achemina vers le Louvre, mais ayant eu en chemin nouvelles asseurces de la mort, s'en retrouna à l'Arsenal, pour donner ordre à la Bastille ; l'une des places la plus importante qui soit en France aujourd'hui.

Le sieur le Jay Lieutenant Civil, et le sieur Sanguin Prevost des Marchands, se rendirent incontinent au Louvre, où ils reçurent le commandement de faire fermer les portes de la ville, s'emparer des clefs, se faire suivre de leurs Officiers, et empescher toute esmotion, ce qu'ils executerent promptement, et cheminant en diverses troupes par la ville, fort assistez de la Noblesse, asseuroient à haute voix le peuple, que la blessure n'estoit rien.

Les compagnies des gardes qui estoient aux fauxbourgs furent incontinent mandees, mais courans confusément tous armez vers le Louvre, cela fut cause que le peuple creut le mal estre plus grand qu'on ne leur faisoir.

Chacun en parloit par où il en pensoit : la plus-part d'une mesme voix, disoient, que ce coup procedoit de ceux qui avoient en plaine paix desbauché le Mareschal de Biron ; d'autres venoit de la mesme instruction qu'avoit euë Jean Chastel et Pierre Barriere : Et sans l'ordre cy dessus donné, il y eust eu du danger pour quelques Ambassadeurs des Princes suspects d'estre ennemis de la France.

Il est impossible de pouvoir exprimer la (p.418 r) tristesse qui saisit un chacun en un instant : Car à ce premier mot qui fut crié, Le Roy est mort, ceste voix passa comme un esclair par toute la ville : On ne voyoit que fermer portes et boutiques, on n'entendoit que clameurs et gemissements : les hommes de toutes qualitez, la larme à l'oeil s'entredemandoient que deviendrons nous : et aucuns disoient, Les maux que nous avons eus, dont ce Prince nous a retirez, n'auront point de comparaisson avec ceux que nous aurons apres sa mort : d'autres en leur silence portoient leur tristesse assez depeinte dans leur face : Les femmes avec exclamations les mains joinctes s'entre-disoint les unes aux autres, Nous sommes perdus, le Roy est mort : les petits enfans esbays de l'estonnement de leurs peres et meres ploroient aussi : Et ceux qui absents de leurs maisons estoient venus de dehors pour veoir l'Entree (la Reine couronnée entrant à Paris NDA), se trouverent en une merveilleuse perplexité.

 

Premier arrest pour la Regence de la Royne.

Sur l'avis que l'on donna à Mr le Premier President de la mort de sa Majesté, il fit incontinent assembler toutes les Chambres, et à la requeste de Procureur General donna l'arrest suivant,

Sur ce que le Procureur Général du Roy a remonstré à la Cour toutes les Chambres assemblees, que le Roy estant presentement decedé par un tres cruël, tres inhumain, et tres destestable parricide commis en sa personne sacree, il estoit necessaire pourveoir aux affaires du Roy regnant, et de son Estat requeroit qu'il fust promptement donné ordre à ce (p.418 v) qui concernoit son service, et le bien de son Estat, qui ne pouvoit estre regy et gouverné que par la Royne, pendant le bas aage dudict Seigneur son fils, et qu'il pleust à ladite Cour la declarer Regente, pour estre pourveu par elle aux affaires du Royaume. La matiere mise en deliberation, Ladite Cour a declaré et declare ladite Royne mere du Roy Regente en France, pour avoir l'administration des affaires du Royaume pendant le bas-aage dudit Seigneur son fils, avec toute puissance et authorité. Faict en Parlement le quatorziesme May l'an mil six cents dix.

Monsieur le Procureur General, bien qu'indisposé, se fit porter en mesme temps au Louvre, pour rendre son premier devoir au Roy, et advertir la Royne et Mr le Chancelier de l'arrest que la Cour venoit de donner pour la Regence : pensant passer en la chambre de la Royne, il entra dans celle où le corps mort du Roy estoit sur un lict la face couverte d'un linge, vestu d'un satin noir, et autour des flambeaux, avec des Religieux qui commençoient Vigiles : luy ayant jetté de l'eau beniste, le visage plein de larmes il alla voir la Royne, laquelle luy confirma l'estime que le feu Roy son mary avoit tousjours faict de la fidelité à son service, dont elle ne doutoit point qu'il ne la continuait à l'endroit du Roy son fils. Il alla apres recognoistre son nouveau Seigneur, et apprit de Mr le Chancelier que leurs Majestez iroient le lendemain au Parlement.

 

Les Princes et Officiers prestent le serment de fidelité à leurs Majestez et se retirent en diligence en leurs Gouvernements.

Les Princes, Officiers de la Couronne, et (p.419) Gouverneurs des Provinces et places frontieres, qui estoient presque tous à Paris, se rendirent aussi incontinent au Louvre, et apres le serment de fidelité presté à leurs Majestez, beaucoup d'iceux eurent commandement de se retirer en diligence en leurs gouvernements pour preveoir à tout ce qui y pourroit survenir : Mais il advint qu'aucuns des permiers qui partirent, pource qu'ils le faisoient assez precipitément, le peuple pensant que ce fussent quelques complices du meurtrier, arrestoit tous ceux qu'il voyoit courir : un entre-autres courut la risque d'une fureur populaire, pource qu'il fut touvé descentant par le fossé de la porte S. Denis tirant apres luy son cheval par la bride.

Pour obvier aux remuëments qui eussent peu arriver à cette occasion, sur le soir on fit ouvrir les portes de sainct Jacques et Sainct Martin par deux Eschevins, qui firent prendre les armes à la dixaine la plus proche, pour leur donner main-forte : tellement que ceux qui avoient un comandement de la Royne pour sortir, estant signé du Prevost des Marchands (qui fut tout du long de la nuict avec le Conseil dans l'Hostel de ville pour donner ordre à toutes occurrences) ils sortoient librement apres l'avoir monstré.

Ceste nuict fut calme sans aucun bruitct; bien qu'un chacun fust sur pieds.