Louis XV : I - l'affaire Damiens
Deux conférences de Marion Sigaut : l'affaire Damiens et la Marche rouge.
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Marion Sigaut : Damiens, une affaire de moeurs ? par ERTV
Le supplice
Damiens avait été condamné, le 26 mars 1757, à « faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris », où il devait être « mené et conduit dans un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres ; et là, à genoux, dire et déclarer que méchamment et proditoirement, il a commis le très méchant, très abominable et très détestable parricide, et blessé le Roi d’un coup de couteau dans le côté droit, ce dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ;
Ce fait, mené et conduit dans ledit tombereau à la Place de Grève ; et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras de jambes, sa main droite, tenant en icelle le couteau dont il a commis ledit parricide, brûlée de feu de souffre ; et, sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix-résine fondue, de la cire et du soufre fondus ensemble ;
Et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux, et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendre, et ses cendres jetées au vent ».
« Enfin on l'écartela, raconte la gazette d'Amsterdam. Cette dernière opération fut très longue, parce que les chevaux dont on se servait n'étaient pas accoutumés à tirer ; en sorte qu'au lieu de quatre, il en fallut mettre six ; et cela ne suffisant pas encore, on fut obligé pour démembrer les cuisses du malheureux, de lui couper les nerfs et de lui hacher les jointures...
« On assure que quoiqu'il eût toujours été grand jureur, il ne lui échappa aucun blasphème ; seulement les excessives douleurs qui lui faisaient pousser d'horribles cris, et souvent il répéta : Mon Dieu, ayez pitié de moi ; Jésus, secourez-moi. Les spectateurs furent très édifiés de la sollicitude du curé de Saint-Paul qui malgré son grand âge ne perdait aucun moment pour consoler le patient. »
Et l'exempt Bouton : « On a allumé le soufre, mais le feu était si médiocre que la peau du dessus de la main seulement n'en a été que fort peu endommagée. Ensuite un exécuteur, les manches troussées jusqu'au dessus des coudes, a pris des tenailles d'acier faites exprès, d'environ un pied et demi de long, l'a tenaillé d'abord au gras de la jambe droite, puis à la cuisse, de là aux deux parties du gras du bras droit ; ensuite aux mamelles. Cet exécuteur quoique fort et robuste a eu beaucoup de peine à arracher les pièces de chair qu'il prenait dans ses tenailles deux ou trois fois du même côté en tordant, et ce qu'il emportait formait à chaque partie une plaie de la grandeur d'un écu de six livres.
« Après ces tenaillements, Damiens qui criait beaucoup sans cependant jurer, levait la tête et se regardait ; le même tenailleur a pris avec une cuillère de fer dans la marmite de cette drogue toute bouillante qu'il a jetée en profusion sur chaque plaie. Ensuite, on a attaché avec des cordages menus les cordages destinés à atteler aux chevaux, puis les chevaux attelés dessus à chaque membre le long des cuisses, jambes et bras.
« Le sieur Le Breton, greffier, s'est approché plusieurs fois du patient, pour lui demander s'il avait quelque chose à dire. A dit que non ; il criait comme on dépeint les damnés, rien n'est à le dire, à chaque tourment : « Pardon, mon Dieu ! Pardon Seigneur. » Malgré toutes ces souffrances ci-dessus, il levait de temps en temps la tête et se regardait hardiment. Les cordages si forts serrés par les hommes qui tiraient les bouts lui faisaient souffrir des maux inexprimables. Le sieur Le Breton s'est encore approché de lui et lui a demandé s'il ne voulait rien dire ; a dit non. Les confesseurs se sont approchés à plusieurs et lui ont parlé longtemps ; il baisait de bon gré le crucifix qu'ils lui présentaient ; il allongeait les lèvres et disait toujours : « Pardon, Seigneur. »
« Les chevaux ont donné un coup de collier, tirant chacun un membre en droiture, chaque cheval tenu par un exécuteur. Un quart d'heure après, même cérémonie, et enfin après plusieurs reprises on a été obligé de faire tirer les chevaux, savoir : ceux du bras droit à la tête, ceux des cuisses en retournant du côté des bras, ce qui lui a rompu les bras aux jointures. Ces tiraillements ont étés répétés plusieurs fois sans réussite. Il levait la tête et se regardait. On a été obligé de remettre deux chevaux, devant ceux attelés aux cuisses, ce qui faisait six chevaux. Point de réussite.
« Enfin l'exécuteur Samson a été dire au sieur Le Breton qu'il n'y avait pas de moyen ni espérance d'en venir à bout, et lui dit de demander à Messieurs s'ils voulaient qu'il le fît couper en morceaux. Le sieur Le Breton, descendu de la ville a donné ordre de faire de nouveaux efforts, ce qui a été fait ; mais les chevaux se sont rebutés et un de ceux attelés aux cuisses est tombé sur le pavé. Les confesseurs revenus lui ont parlé encore. Il leur disait (je l'ai entendu) : « Baisez-moi, Messieurs. » Le sieur curé de Saint-Paul n'ayant osé, le sieur de Marsilly a passé sous la corde du bras gauche et l'a été baiser sur le front. Les exécuteurs s'unirent entre eux et Damiens leur disait de ne pas jurer, de faire leur métier, qu'il ne leur en voulait pas ; les priait de prier Dieu pour lui, et recommandait au curé de Saint-Paul de prier pour lui à la première messe.
« Après deux ou trois tentatives, l'exécuteur Samson et celui qui l'avait tenaillé ont tiré chacun un couteau de leur poche et ont coupés les cuisses au défaut du tronc du corps, les quatre chevaux étant à plein collier ont emportés les deux cuisses après eux, savoir : celle du côté droit la première, l'autre ensuite ; ensuite en a été fait autant aux bras et à l'endroit des épaules et aisselles et aux quatre parties ; il a fallu couper les chairs jusque presque aux os, les chevaux tirant à plein collier ont emporté le bras droit le premier et l'autre après.
« Ces quatre parties retirées, les confesseurs sont descendus pour lui parler ; mais son exécuteur leur a dit qu'il était mort, quoique la vérité était que je voyais l'homme s'agiter, et la mâchoire inférieure aller et venir comme s'il parlait. L'un des exécuteurs a même dit peu après que lorsqu'ils avaient relevé le tronc du corps pour le jeter sur le bûcher, il était encore vivant. Les quatre membres détachés des cordages des chevaux ont été jetés sur un bûcher préparé dans l'enceinte en ligne droite de l'échafaud, puis le tronc et le tout ont été ensuite couvert de bûches et de fagots, et le feu mis dans la paille mêlée à ce bois.
« ... En exécution de l'arrêt, le tout a été réduit en cendres. Le dernier morceau trouvé dans les braises n'a été fini d'être consumé qu'à dix heures et demie et plus du soir. Les pièces de chair et le tronc ont étés environ quatre heures à brûler. Les officiers au nombre desquels j'étais, ainsi que mon fils, avec des archers par forme de détachements sommes restés sur la place jusqu'à près de onze heures.
« On veut tirer des conséquences sur ce qu'un chien s'était couché le lendemain sur le pré où était le foyer, en avait été chassé à plusieurs reprises, y revenant toujours. Mais il n'est pas difficile de comprendre que cet animal trouvait cette place plus chaude qu'ailleurs. »
D'après Michel Foucault ; Surveiller et punir, 1975
L’attentat :
Le mercredi 5 janvier 1757 (vers 17h45), alors que la cour en effectif réduit est au Grand Trianon plus facile à chauffer que Versailles et que la famille royale s'apprête, ironie de l'histoire, à « tirer les rois », Louis XV rend visite à sa fille, Madame Victoire, qui est restée alitée au château de Versailles. Damiens loue épée et chapeau dans une boutique sur la place d'armes devant le château pour se faire passer pour noble, entre au palais de Versailles, parmi les milliers de personnes qui essayent d'obtenir des audiences royales. Vers 18 heures, alors qu'il va regagner son carrosse, Damiens fend la haie des gardes, le chapeau sur la tête, frappe le roi et recule par la trouée qu'il a pratiquée. Louis XV croit d'abord à un coup de poing, puis trouve son côté ensanglanté. Le dauphin et ses compagnons maîtrisent Damiens qu'ils remettent aux gardes alors que le roi s'écrie « Qu'on l'arrête et qu'on ne le tue pas ! ». Le roi retourne à sa chambre et, se croyant moribond, demande un confesseur et l'Extrême onction.
L'arme du crime est un canif à deux lames rentrantes acheté chez une marchande de quincaillerie, trouvé dans la poche de Damiens. Celle qui a frappé le roi mesure 8,1 cm. La blessure, située du côté droit, se trouve entre les 4e et 5e côtes. Les nombreuses couches de vêtement notamment celles en soie et en velours, nécessaires à cause de l'hiver rigoureux, ont amorti la plus grande force du coup. La Martinière, premier chirurgien, sonde la blessure : aucun organe n'est atteint. Il s'agit donc d'une blessure sans gravité, à moins que la lame n'ait été empoisonnée préalablement, mais le roi restera cloitré dans sa chambre pendant dix jours : impopulaire depuis une dizaine d'années, il est prêt à changer d’attitude en marquant plus de dévotion, en renonçant à ses maîtresses et en préparant le dauphin à sa succession. Un courtisan se précipite auprès de l'assassin que l'on a traîné jusqu'à la salle des gardes. On l'interroge sur de possibles complicités, l'homme se récrie : « Non, sur mon âme, je jure que non ».
Damiens, alors que les gardes lui tenaillent les pieds avec des pincettes rougies au feu, s'écrie « Qu'on prenne garde à M. le Dauphin ! » pour faire cesser la torture. Le garde des Sceaux, Machaut d'Arnouville, arrivé peu de temps après, ordonne qu'on mette un gros fagot dans le feu et qu'on l'y jette. Il est interrompu par l'arrivée du grand prévôt de l'hôtel qui prend en charge le prisonnier.
Le contexte :
Un conflit oppose le roi au parlement de Paris (les juges) qui refusent d’enregistrer les décisions royales. En 1749, à la suite de plaintes répétées, le roi décide de faire siègera l’archevêque de Paris au conseil de l’Hôpital général (hospices des pauvres) pour mettre fin aux trafics de tous genres qui minent l’Hôpital. Pour pouvoir garder le pouvoir sur l'Hôpital général où l'archevêque de Paris a fait nommer une supérieure contre l'avis des directeurs proches du Parlement, le Parlement organise une véritable rébellion qui ne s'achèvera qu'avec l'attentat de Damiens. Au moment de l’attentat, le Parlement est en grève.
A propos de Damiens, la tradition parmi les historiens depuis Voltaire, affirme qu’il était fou. Cette rumeur a été propagée dès le jour de l’attentat par le marquis de Marigny (frère de la marquise de Pompadour) qui clamait à qui voulait bien l’entendre que Damiens était complètement délirant. Le marquis connaissait effectivement Damiens qui avait été un temps son domestique (la livrée). Pourtant, le prince de Croy chargé d’établir sa biographie, déclara après avoir rencontré Damiens pour la première fois : « Il n’était point fol ! »
L’instruction et le procès :
Alors qu’un « parricide » (régicide) commis à Versailles tombe normalement sous la juridiction directe du Roi (« cas royaux » cf. Philippe Auguste), des tractations secrètes entre le Parlement de Paris et le roi permettent au premier d'être finalement chargé de l'instruction qu'il mène dans le plus grand secret (sans témoins et sans greffier).
Dans la nuit du 17 au 18 janvier, Damiens est transféré de Versailles à la Conciergerie à Paris, — là où Ravaillac avait été enfermé. Aucune torture n'est épargnée au malheureux qui est attaché sur son lit par un assemblage inouï de courroies de cuir qui lui tiennent chaque membre et sont retenues par des anneaux scellés au plancher. Mais les deux médecins qui s'assurent de sa santé obtiennent des magistrats qu'il lui soit permis de se déplacer dans sa chambre et de marcher chaque jour.
Tandis que les magistrats instructeurs entendent le prisonnier dans le plus grand secret et font arrêter tous les proches, tous également mis au secret, le procès s'ouvre à la Grand'chambre le 12 février.
Dix audiences se passent et Damiens n'est entendu que le 26 mars 1757. Harcelé de questions interro-négatives (« s'il n'est pas vrai qu'il a dit que », ou « s'il n'a pas dit que ») ne lui permettant pas de s'exprimer, il réussit tout de même à dire : « Si je n'étais jamais entré dans les salles du palais, et que je n'eusse servi que des gens d'épée, je ne serais pas ici ».
Il sera exécuté le 26 mars 1757.
Les dessous de l’histoire
D’une façon général, Marion Sigaut confirme les remarques formulées par Pierre Dortiguier quant à la fiabilité des archives.
En enquêtant sur l’affaire Damiens, Marion Sigaut a été amenée à porter de lourds soupçons sur l’authenticité de certains documents. Des dates auraient été changées sur des procès verbaux. Le premier procès verbal d’audition de Damiens est daté du 5 janvier à 18h30 (soit 45minutes après l’attentat) et contient la phrase « et contrairement à ce qu’il nous a dit dans l’interrogatoire d’hier… ». D’autres procès d’audition semblent avoir disparu, c’est le cas de ceux de la fille de Damiens qui ne sera interrogée qu’un mois après son arrestation. Des documents sont des décisions de la Grand’chambre du parlement de paris – qui mène l’instrucytion – datées de jours pendant lesquelles la Grand’chambre ne s’est pas réunie.
Marion Sigaut cite une lettre d’un jésuite de la cour envoyée à un abbé, le lundi suivant l’attendant : « on a observé que le roi a renvoyé deux « jeunes » filles ». En vérifiant la lettre d’origine, Marion Sigaut s’est aperçu d’un autre mensonge des archivistes car il est fait état de deux « petites filles » !
« Après 1752, si les relations entre le roi et sa favorite (la Pompadour) prennent un tour platonique, voire simplement amical, Jeanne-Antoinette ne quitte pas la cour pour autant et reste dans l'entourage immédiat de la famille royale, alignant sa conduite sur celle qu'avait eue en son temps la marquise de Maintenon. Mme de Pompadour excellait à distraire Louis XV, à organiser des fêtes, des représentations théâtrales, à entretenir le goût du souverain pour les bâtiments et les jardins.
Ne pouvant contenter la sensualité du roi et craignant d'être supplantée par une dame de la cour, elle fournit à son ex-amant des jeunes femmes ou jeunes filles, logées dans la maison du Parc-aux-cerfs, actuel quartier Saint-Louis, à Versailles. » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de_Pompadour)
Le roi était donc corrompu par des « ballets roses », tentations auxquelles le soumettaient la Pompadour avec l’aide de son frère Marigny.
Damiens avait donc été le domestique du pourvoyeur en « petites filles » du roi.
Un autre maître de Damiens témoignera que la fille de celui-ci avait été enlevée en 1750, au moment des émeutes de la « marche rouge ».
Pour Marion Sigaut, la censure touche toutes les informations autour des événements de 1750 !
1750 - LA MARCHE ROUGE
Marion Sigaut / E&R, partie 2 par ERTV
Une erreur de Marion Sigaut qui très soucieuse de donner la meilleure image possible de l’ancien régime, prétend qu’il n’existait qu’une torture qui n’était appliquée qu’après la condamnation. En réalité (comme l’explique très bien le juge Gallot !) « il y avait deux sortes de question : la question dite « préparatoire » et celle dite « préalable » ou « définitive ». La première était utilisée au cours de la procédure afin de soutirer les aveux du prévenu. La seconde se tenait après la fin du procès : on la soumettait au condamné à mort pour que celui-ci révèle l’identité de son ou ses complices. » (source : http://thucydide.over-blog.net/article-la-torture-dans-la-procedure-criminelle-d-ancien-regime-58940700.html)
19. 11. 2012