La légende Baoulé
LA LÉGENDE BAOULÉ
transcrit par Bernad Dadié
Il y a longtemps, très longtemps, vivait au bord d’une lagune calme, une tribu paisible (mírní) de nos frères. Ses jeunes hommes étaient nombreux, nobles et courageux, ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine Pokou, était la plus belle parmi les plus belles.
Depuis longtemps, très longtemps, la paix était sur eux et les esclaves mêmes, fils des captifs des temps révolus (dávno), étaient heureux auprès de leurs heureux maîtres.
Un jour, les ennemis vinrent (přišli) nombreux comme des magnans (červení mravenci) Il fallut quitter les paillotes (slaměné chýše), les plantations, la lagune poissonneuse, laisser les filets (sítě), tout abandonner pour fuir(utéct.)
Ils partirent dans la forêt. Ils laissèrent aux épines (trni) leurs pagnes (suknice), puis leur chair (kůže.) Il fallait fuir toujours, sans repos, sans trêve (neustále), talonné (pronásledováni) par l’ennemi féroce.
Et leur reine, la reine Pokou, marchait la dernière, portant au dos son enfant. À leur passage l’hyène ricanait (zlomyslně se smála), l’éléphant et le sanglier (cochon sauvage) fuyaient, le chimpanzé grognait et le lion étonné s’écartait du chemin.
Enfin les broussailles (křoví) apparurent, puis la savane et les rôniers (palmy) et, encore une fois, la horde entonna (začala zpívat) son chant d’exil :
Mi houn Ano, Mi houn Ano,blâ ô
Ebolo nigué, mo ba gnan min –
(Mon mari Ano, mon mari Ano, viens,
Les génies de la brousse m’emportent.)
Harassés, exténués (velmi unavení), amaigris, ils arrivèrent sur le soir au bord d’un grand fleuve dont la course se brisait sur d’énormes rochers. Et le fleuve mugissait (bučela), les flots montaient jusqu’aux cimes des arbres et retombaient et les fugitifs étaient glacés d’effroi (zkamenělí hrůzou.)
Consternés, ils se regardaient. Était-ce là l’Eau qui les faisait vivre naguère (kdysi), l’Eau, leur grande amie ? Il avait fallu qu’un mauvais génie l’excitât contre eux.
Et les conquérants devenaient plus proches. Et pour la première fois, le sorcier (kouzelník) parla : « L’eau est devenue mauvaise, dit-il et elle ne s’apaisera que quand nous lui aurons donné ce que nous avons de plus cher. » Et le chant d’espoir retentit (zazněl) :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront
Et chacun donna ses bracelets d’or et d’ivoire, et tout ce qu’il avait pu sauver. Mais le sorcier les repoussa du pied et montra le jeune prince, le bébé de six mois : « Voilà, dit-il, ce que nous avons de plus précieux. »
Et la mère, effrayée, serra son enfant sur son cœur. Mais la mère était aussi la reine et, droite au bord de l’abîme, elle leva l’enfant souriant au-dessus de sa tête et le lança dans l’eau mugissante.
Alors les hippopotames, d’énormes hippopotames émergèrent et, se plaçant les uns à la suite des autres, formèrent un pont et sur ce pont miraculeux le peuple en fuite passa en chantant :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront
Et la reine Pokou passa la dernière et trouva sur la rive (břeh) son peuple prosterné (padl na tvař.)
Mais la reine était aussi la mère et elle put dire seulement « baouli », ce qui veut dire : l’enfant est mort.
Et [c’est grâce à] la reine Pokou [que] le peuple garda le nom de Baoulé *.
*La version originale didactisée par Odile Rollin et Eileen Lohka est disponible sur le site : http ://fis.ucalgary.ca/fr/215/baoule.html
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La disparition d’Ano
la construction de la nation autour d’un secret
Une analyse de la Légende Baoulé
Sommaire :
1 – Introduction: apparence anti-œdipienne de la Légende Baoulé
2 – Propédeutique méthodique
2.1 – La morale comme objet causal
2.2 – La seconde topique freudienne
2.3 – Le schéma actanciel et l’analyse freudienne
3 – Analyse de la Légende Baoulé
3.1 – Complexité interne de la tribu
3.2 – Complexité de la réalité externe
3.3 – Dénouement et analyse freudienne
3.3.1 – L’énigme du fleuve
3.3.2 – La résolution de l’énigme : le repas totémique
4 – Conclusion : nouvelle intégration du Moi collectif
Résumé en tchèque par Jaromir Typlt
Notes bibliographiques
1 – Introduction : apparence anti-œdipienne de la Légende Baoulé
La Légende Baoulé[1]est un mythe fondateur. Elle explique comment le peuple Baoulé naquis et acquis son nom. Cette transmutation de l’ancienne tribu exigea un acte qu´une certaine morale de bon aloi pourrait juger outrancier. Il aura fallu que la reine Pokou immole son enfant.
Cette histoire d’une mère qui sacrifie son fils présente donc toutes les apparences d’être le contraire du mythe d’Œdipe meurtrier de son parent.
Malgré la présence du magique qui cerne le peuple de la reine Pokou, la Légende Baoulé n’est ni un conte de fées ni un «cadeau d’amour destiné à un enfant.[2]» Elle est bien plutôt un mythe dont «le héros culturel est présenté à l’auditeur (un adulte) comme un personnage qu’il doit s’efforcer d’imiter toute sa vie, aussi parfaitement que possible.[3]» Mais une fois le lecteur identifié, on délimite ainsi le champ d’application et les conclusions qui s’imposeront des méthodes générales d’analyse utilisées par Bruno Bettelheim restent valides.
L’intérêt de ce type d’analyse freudienne est précisément de déterminer quelles sont les motivations mises en jeu dans cette légende. Par une compréhension des enjeux sous-jacents, il sera possible de surmonter le sentiment glacial qui fige l’auditeur quand sourd le – Baouli – L’enfant est mort – murmuré par Pokou recueillie sur le souvenir de son fils sacrifié.
Comment faire du souvenir mythique du meurtre de son propre enfant un sentiment suffisamment positif pour que des adultes puissent y souscrire et créer ainsi un peuple uni ?
Pour effleurer cette problématique, j’organiserai son approche en deux parties. l’outil théorique général tel qu’il est donné par B.Bettelheim servira de préliminaire méthodique. On assignera au héros du mythe la tâche de sublimer ses pulsions. En recompose, il jouira d’une nouvelle relation au monde qui permette un apaisement du conflit entre les principes de réalité et de plaisir.
L’outil linguistique, sous la forme que lui a donnée une certaine école structuraliste, vérifiera comment ces modèles descriptifs se conforment à la matière textuelle. La schématisation de structures narratives mises à jour par des Européens comme V. Propp ou A. J. Greimas peut s’appliquer à notre texte d’outre méditerranée. Trois parties se distingueront dans cette histoire africaine. D’abord, une continuité introductive brosse un tableau général.
La tribu organise son existence conformément à une ère de paix. Cette période se marque linguistiquement par l’utilisation des verbes en être et de l’imparfait, temps de la lente habitude. Surgissent dans la deuxième partie une série d’actions se succédant au pas cadencé. C’est le temps de la rupture. Il marque le début de l’exil ponctué d’autant d’épreuves à franchir. Cet exil atteindra son paroxysme actanciel lors de la séquence du fleuve et du sacrifice du prince.
2 – Propédeutique méthodique
2.1 - La morale comme objet causal
La fin du 19ème siècle assiste au développement d’un ensemble de théories psychologiques et médicales. D’étranges transformations entrent en œuvre. Des phénomènes relevant jusqu’alors du religieux ou de la superstition s’expliquent dorénavant rationnellement. Parmi ces phénomènes, celui du sentiment personnel de morale se distingue. A cette époque, même les philosophes excluaient la moralité du domaine des rapports de cause à effet. Ils pensaient ainsi transcendantalement afin de ne pas déroger au principe que Kant avait énoncé un siècle auparavant[1].
De leur côté, les théories freudiennes considèrent que «contrairement au mythe ancien la sagesse ne jaillit pas d’elle-même, toute faite, comme le fit Athéna de la tête de Zeus[2]»
Les contes et les mythes s’imposent comme des éléments de la réalité qui participent à la lente mise en place dans le psychisme individuel d’un sentiment moral. En observant l’histoire, on acquière aussi la conviction que la morale est une construction dont les étapes se manifestent nettement.
Pour Freud [3] le premier épisode fondamental du progrès de la morale humaine aura été l’apparition d’une divinité abstraite : Maat (vérité et justice.) Ce Dieu unique qui supplante pour la première fois la multitude des esprits animistes, apparaît en Egypte sous le règne d’Aménophis IV. Le pharaon changera son nom en Akhenaton pour rendre hommage à ce nouveau monothéisme. Les pensées de Socrate, d’Ibn Rushd, de Diderot et même celles de Kant seront autant de nouvelles étapes d’une morale qui impose à pas de loup son caractère universel.
Une telle évolution des hommes présente une similitude avec l’évolution de l’homme : par le jeu de la conversation des impressions psychiques[1], le psychisme de l’enfant intériorise l’autorité référente des parents et autres aurotirés extrasubjectives sous la forme du Surmoi.
Au sein de cette construction, le conte de fée assume la fonction d’exprimer le «consensus du plus grand nombre à l’égard de ce qu’ils considèrent comme problèmes humains universels et de ce qu’ils acceptent comme solutions désirables.[2]»
L’importance scientifique de Freud consiste en un tour de force. La psychanalyse est capable de considérer le sentiment de la moralité, subjectif mais universel, comme une activité psychique déterminée. Il résulte d’une construction qui respecte classiquement le principe de causalité. Ces rapports sont capables d’expliquer comment l’enfant acquière la mesure de développer un sentiment moral. Cette moralité construite dans la subjectivité individuelle résonne universellement. La légende Baoulé est un exemple frappant de l’importance qu’occupent les mythes dans la construction de la morale.
En effet, le mythe autant que le conte, parce qu’ils sont des objets universels de culture, possèdent un intérêt universel d’enseignement. Le conte, bien davantage, s’impose comme une méthode d’apprentissage dévoilant le chemin qui mène à l’âge adulte en organisant le chaos interne du psychisme de l’enfant. Tout comme le mythe, qui lui s’adresse aux adultes, il est une méthode qui permet de donner un sens et d’accorder une valeur à la vie tout en lui découvrant une saveur. Il apprend à lutter pour «acquérir une compréhension solide de ce que doit être le sens de la vie.[3]»
Bettelheim défend également que découvrir une valeur éthique est une activité rationnelle dont on tire une satisfaction sensuelle fondée sur l’optimisme quant aux promesses que porte l’avenir. Et Paradoxalement, la mort de l’enfant de Pokou, n’interdirait pas toujours d’heureux lendemains. Elle pourrait même être la cause d’un certain bonheur.
2.2 - La seconde topique freudienne
La première topique freudienne divisait le champ du psychisme humain en deux catégories : conscient et inconscient. Mais cette dialectique trop simple a finalement été abandonnée car les phénomènes observés faisaient preuve de plus de complexité. Freud imagina donc une seconde façon d’organiser sa description de l’activité psychique en trois entités complémentaires. Cette grille théorique de description de la réalité du psychisme humain est appelée communément la seconde topique. Elle distingue trois instances autonomes l’une vis-à-vis de l’autre dans leur fonctionnement énergétique : le ça, le Moi, le Surmoi [1].
Cette autonomie relative de ces trois forces peut engendrer un dysfonctionnement de l’ensemble psychique. Quand les orientations des trois entités psychiques ne convergent pas vers un état de bien-être, le sujet psychique souffre de mal-être. Puisqu’elle connaît les lois causales du psychisme, la psychanalyse se donne pour tâche de guérir cette pathologie (névrose, paranoïa…) qu’on oppose au bien-être.
Il est d’ailleurs bien difficile de décrire ce sentiment autrement que par des métaphores. Sans doute, ne peut-on le réduire au seul principe de plaisir. Il faudrait alors résumer le plaisir à une réalisation libre et sans contrainte des envies impulsives du sujet. Autant croire que seuls les sadiques puissent être heureux !
On pourrait davantage lui donner la forme d’une d’harmonisation. Ce lien harmonieux s’établirait entre les trois forces énergétiques et le domaine de la réalité extrasubjective. Et puisque d’une part, le domaine subjectif est le siège du principe de plaisir, et que d’autre part, il s’oppose au principe de réalité, cette harmonisation équivaudrait dans une optique darwiniste à une adaptation de l’individu à son environnement. Autant dire une nouvelle intégration du psychisme.
Comme les relations qu’entretient le domaine de la réalité extrasubjective avec la réalité psychique influencent grandement ce sentiment d’apaisement entre les trois forces internes, les contes et les mythes possèdent alors un grand avantage. Ils sont indispensables car ils évoquent objectivement les conflits de la réalité subjective projetés dans le monde diégétique. Certes, l’expression de cette objectivité reste toujours métaphorique et se doit d’être décryptée, mais elle n’en possède pas moins le pouvoir d´apaiser les troubles psychiques en les interprétant.
Cette objectivation des conflits psychiques est possible pour la raison que ces histoires appartiennent à un domaine historique du folklore humain qui n’évolue presque pas et que Jung résumerait en archétype. Ni l’importation en Europe de l’idée chinoise d’imprimerie ni aucune des autres nouvelles technologies de l’information subjective qui suivirent, ne réussirent à accélérer les choses.
Et puisque les contes et les mythes n’évoluent que très lentement, ils peuvent être considérés comme des éléments stables de la réalité sur le modèles des étoiles dites fixes. Ils reflètent la partie de l’homme la moins sujette aux variations : son patrimoine génétique.
1-Le Ça est la force énergétique, l’instance, la plus importante par son influence. Il porte la marque de l’héritage phylogénétique. Il a pour fonction d’engendrer des comportements qui assurent la survie de l’espèce au de-là l’individu, et parfois au dépend de l’individu. Il est composé d’une énergie qui se répartit essentiellement sous quatre grandes pulsions autonomes et dont le déclenchement peut même se passer de stimulus extérieur : l’agressivité, la sexualité, l’alimentation et la fuite. [2]
Cette activité autonome des motions pulsionnelles résulte de la composition des lois de la sélection et de la mutation qui régissent l’évolution des espèces. La diversité des pulsions a pour fonction d’assurer le développement biologique de l’individu. Il doit défendre un territoire afin d’y accueillir un partenaire qui l’aura choisi, fonder sa famille, la nourrir, il doit aussi se tirer des situations les plus dangereuses le plus rapidement possible et faire en sorte que ce système de vie trouve une certaine stabilité que garantit le lien affectif liant les éléments qui le compose .
Mère nature, s’assurant que les accidents individuels des subjectivités ne viennent perturber ces principes statistiques, a créé l’angoisse. Elle dit à ses enfants: laissez-moi faire, n’ayez conscience de rien! Fuyez cette angoisse de la vérité de vos sentiments!
Il en est ainsi du complexe d’Œdipe. L’enfant, qui sait que son parent ne peut être l’objet de désir sexuel sous peine d’entrer en grave conflit concurrentiel avec le second parent, se voit soudain comme indigne de tout amour. Il sent confusément que les désirs contre lesquels il ne peut rien sont susceptibles de rompre l’équilibre familial. L’amour et la confiance dont lui témoignent ses parents seraient remises en cause, si jamais il assouvissait ses désirs ou même s’il se contentait de les dévoiler. Leur effleurement à la conscience provoque nécessairement une angoisse qui dégagera l’énergie nécessaire à leur refoulement. Pour sauver l’amour de ses parents l’enfant fait le sacrifice de ses envies tout en apprenant à gérer ces angoisses.
Pour voir clair, il faut voir de dehors afin de saisir l’ensemble. Il faut que l’angoisse soit extériorisée. Il faut que quelqu’un dise à l’enfant qu’il n’est pas le seul à être en proie à un sentiment qui le terrorise. Ainsi cette terreur n’apparaît pas comme un facteur pathologique. Elle devient une norme. L’enfant qui se croit anormal, indigne de l’amour parental s’aperçoit en lisant le conte que cette angoisse, partagée par autrui, est au contraire un signe d’intégration à la normalité vécue. L’enfant doit réussir à considérer ses angoisses comme un problème à résoudre. Il faut en effet résorber cette angoisse puisqu’elle est source d’inconfort. Or la problématisation semble être un archétype de la rationalisation. Par cette activité rationnalisante inconsciente, le début d’une construction d’une connaissance objective de soi, l’enfant arrive à renforcer son psychisme.
Le conte de fée permet de mettre en images objectivées - parce qu’elles sont partagées universellement - un sentiment profond. Ainsi par cette objectivation, l’enfant porte à sa conscience ce qui se joue dans d’autres sphères psychiques : le Ça et ses pulsions. Les pulsions sexuelle et agressive qu’il éprouve en contradiction avec l’organisation pratique de la famille. Plus tard elles entreront en conflit avec le système politico-économique dans lequel l’adulte devra s’insérer.
Les histoires que les enfants se font raconter sont autant d’exemples d’angoisses nouvelles que les héros apprennent à gérer et à surmonter. Au-delà de l’angoisse, il y a un nouveau bonheur plus intense que seule l’image d’un autre monde aux nouveaux repères, soutenue et développée par le conte est capable de promettre.
Pour construire une vie digne, l’enfant doit apprendre à sacrifier sa partie la plus égoïste. Le rêve est une base de travail. Sa réalisation entraînera des changements dans la composition énergétiques des instances à l’intérieur du psychisme. Il faut également apprendre à gérer la peur qu’engendre la perspective de modification de l’environnement. Telle sera en gros le rôle du Moi.
2- Le Moi est une partie ordonnée du Ça. Il agence les motions pulsionnelles pour les rendre compatibles à la réalité externe. Comme il décide dans quelles conditions les désirs du Ça sont applicables, le Moi doit bénéficier de forces psychiques qui lui permettent d’être suffisamment fort pour faire face à l’avenir et surmonter les obstacles de la vie réelle.
Le plus souvent, la réalité s’oppose au libre développement de l’individu dont les actions sont essentiellement dirigées par le principe de plaisir. Seul un Moi renforcé sera à même d’affronter les remises en causes des croyances sur lesquelles il s’est développé jusque là. Elles sont celles d’un enfant qui se prend pour un maître du monde. Rien ne doit entraver ses envies les plus primaires. Pourtant il devra apprendre, sous peine de compromettre son libre développement, à composer entre ces désirs et la réalité érigée en obstacle systématique. Cette recomposition nécessite notamment une sublimation des pulsions, c’est à dire une réorientation de l’énergie de la pulsion vers un autre objet.
Le Moi – auquel la conscience accède la plus part du temps – a pour fonction d’adapter l’individu à son environnement immédiat. Il doit rendre la confrontation entre le principe de plaisir et de réalité acceptable, non perturbatrice, pour le développement de l’individu.
Si par exemple un enfant ressent l’envie urgente de confiture à la vision d’un pot accessible, il sera l’objet exécutant de sa pulsion d’alimentation qui lui enjoint d’agir. Mais si dans la cuisine se trouve la maman, représentante de la réalité, le Moi doit décider quel est le moindre risque. Il doit opter entre le plus profitable ou le moins dommageable pour l’organisme : le goût sucré satisfaisant peut-il avoir comme prix les douleurs de la fessée.
L’enfant doit donc apprendre à abandonner ces envies primaires et à en recomposer de nouvelles. Sa vie intérieure lui fournira le matériel suffisamment riche à partir duquel il inventera ses propres raisons de vivre. Dès lors il s’imposera des inspirations plus élevées que ses envies primaires. A partir de ce moment il donnera un sens à sa vie en ordonnant les motions pulsionnelles du Ça. La vie devient en quelque sorte un rêve à réaliser. Plus les rêves sont nombreux, plus la vie sera potentiellement riche.
Pour enrichir la vie de l’enfant, il faut stimuler son imagination qui fournit les intuitions. En effet face à l’émerveillement du divers du réel, l’imagination permet de produire des intuitions explicatives du monde. Le conte entraîne ainsi l’imagination. A partir de stimulations phoniques et linguistiques, l’enfant se créer un monde d’images différent de celui qui s’offre au regard concret.
Le chaos du divers des angoisses n’admet pas d’irréductibilité. Il existe un moyen d’ordonner ces angoisses, de les identifier en les comparant les unes aux autres. En clarifiant ce que Raymond Queneau appelait le bourbier de l’inconscient, le conte offre une méthodologie pour dominer les peurs. Il fournit un exemple d’ordre possible et présente des solutions possibles aux conflits. Mais cette rationalisation n’est rien tant que le Moi n’est pas gonflé de sentiments d’espoir.
En effet l’angoisse du tonnerre parental, sur l’impression duquel se fonde le Surmoi, est éphémère. De cette apparente négativité, surgira un chemin certain vers le bonheur d’une morale universelle intériorisée.
3- La troisième partie du psychisme humain est constituée par ce qu’on appelle le Surmoi. Elle est le siège de la morale que nous définissons d’un point de vue fonctionnelle comme une autorité intériorisée. La morale étant un souvenir actif de l’autorité des parents.
Le Surmoi, l’autorité référante, se forme d’abord par un travail de l’imagination. Pour une situation donnée à l’intérieure de laquelle l’enfant doit décider de son action, le Surmoi agit conformément aux interrogations kantiennes : « Quelle serait la récompense que m’attribueraient mes parents- ou, par sublimation, tout héros auquel je m’identifie - si je commettais une telle action ? »
Cette parodie de question enfantine est une intériorisation de contrainte limitative. Elle est déjà le début de la morale. Le conte qui développe l’imagination est une façon de déterminer une valeur à la vie comprise comme une série d’actions.
L’enfant qui écoute le conte, s’aperçoit que certaines actions influencent le cours de la vie des personnages. Il réalise, par delà l’illusion dépressive de Destin que donne la forme linéaire de la narration, que des personnages entament une lutte qui aboutit à des changements dans leur vie. Les personnages doivent faire face à l’adversité et agir courageusement, dans les contes de fées, ce sont les actes du héros qui change sa vie[1].
Un conte qui déroule son suspense est une première leçon : l’enfant identifié au héros s’initie au possible des actions. Le conte propose aussi, des exemples de comportement moraux. L’enfant pourra utiliser ces exemples et les comparer à des situations réelles. Ainsi il fait l’apprentissage expérimental d’une morale pratique.
D’autre part, les histoires mettent en scène des personnages qui ne sont pas mauvais en soi, même s’ils connaissent des sensations dont la réalisation est interdite. Le conte, existentialiste avant l’heure, montre que davantage que le personnage, c’est l’action qui sera mal jugée. La morale ne concerne pas les pulsions; mais leur réalisation sous certaines conditions
Puisque les contes participent au développement de chacun d’entre nous, il appert que la tâche générale de l’éducation est de rendre les enfants capables de donner un sens à leur vie. L’éducation doit forger la capacité de jugement puisque donner un sens à sa vie ne peut se faire qu’à la condition que les différents sens possibles soient comparés entre eux et d’extraire parmi cette pluralité des potentialités, le sens qui fera sens. Bettelheim reprend la morale freudienne qui assure que l’homme ne peut parvenir à donner un sens à son existence que s’il lutte courageusement contre ce qui lui paraît être des inégalités écrasantes (Bettelheim, ouvr. cité, p.19.) Cette morale, même sous sa première approximation religieuse, est une libération. Elle libère les individus de la peur des autorités animistes toujours prêtes à déchaîner leur colère sur un peuple fautif, comme c’est encore le cas au début de la Légende Baoulé. L’homme enfin se décide à faire le bien non par crainte d’une punition, mais parce que telle est sa volonté.
Nous allons voir, dans la partie suivante, que le schéma descriptif des structures narratives autour desquelles se développe l’histoire du conte, permet de mettre en relations les différents éléments qui participent tous au voyage du sujet vers un niveau plus complexe de moralité.
2.3 - Le schéma actanciel et l’analyse freudienne
Des analyses linguistiques structuralistes ont été développées notamment par Algvidas-Julien Greimas 9 poursuivant l’œuvre de Vladimir Propp 10. Elles sont reprises par l’école néo-structuraliste de Montpellier 11 et présentent un schéma qui suffirait à décrire toute histoire.
Cet aspect de la structure de la matière du texte trouve une dimension nouvelle une fois complétée par les théories freudiennes.
- L’histoire débute quand le commanditaire enjoint au héros d’entamer une quête. Le héros est soumis à une pulsion issue du ça.
- Cette quête est le cœur du conte. Elle a pour but un objet que doit atteindre le héros. Elle est la recherche d’une méthode de réorganisation des forces psychiques. Cette nouvelle intégration permettra de surmonter l’angoisse produite par la pulsion inadaptée à la réalité externe du départ.
- Lors de son parcours, le héros rencontrera une série d’épreuves qu’il aura pour tâche de franchir. Ces épreuves sont considérées comme un opposant qui cherche à faire échouer le héros dans sa quête. Au Moi du héros correspond une réalité intrasubjective qui est différente de la réalité extrasubjective. Les principes de plaisir et de réalité divergent.
- Le héros bénéficie de l’appui d’un adjuvant, le plus souvent magique. La fantasmagorie chaotique interne est une énergie qui peut aussi être utilisée positivement. Et puisqu’elle elle a pour origine l’inconscient, cette énergie n’est pas connue rationnellement et prend donc une allure magique. Le héros découvre une méthode de sublimation de la pulsion.
- Une fois l’objet de la quête atteint, le héros bénéficie d’une récompense. Grâce à la nouvelle recomposition de son psychisme, le héros peut jouir d’un état de bien-être durable puisque les principes de plaisir et de réalité convergent.
Ce schéma s’applique effectivement à la Légende Baoulé.
- Le héros est la tribu. Elle doit échapper à la domination et à l’invasion d’ennemis féroces. C’est à dire quelle est soumise à une pulsion de fuite.
- Elle a comme quête la paix au sein d´un nouveau territoire. Il faut que la pulsion remplisse sa tâche, la tribu fuit pour se sentir en sécurité.
- Elle devra affronter comme opposant une Nature hostile aux travers de ses éléments séparés, les animaux, les végétaux et le fleuve. Elle expérimente les diverses formes du principe de réalité.
- Elle trouvera comme adjuvant un sorcier qui lui indiquera sous forme d’énigme la marche à suivre pour franchir l’étape ultime et accéder à l’objet de la quête. La tribu fait preuve d’imagination courageuse pour déchiffrer le message de Nature. Elle trouve un moyen d’assurer sa sécurité collective au dépend de la sécurité individuelle.
- La récompense est une mutation de la tribu qui devient un peuple. Le groupe recompose les instances de son psychisme dans une nouvelle intégration. De nouvelles relations se tissent entre les membres du groupe.
-
Dans ce schéma, que nous venons de présenter, la fonction de héros est tenue par l’ensemble de la tribu. Elle présente une forme organique complexe qui mérite d’être décrite plus en détails.
3 – Analyse de la Légende Baoulé
3.1 – Complexité interne de la tribu
L’histoire du mythe Baoulé s’ouvre sur la description de temps révolus. La narration brosse le tableau d’un peuple jouissant de l’abondance des plantations et de la lagune poissonneuse. Du point de vue syntaxique, la tribu est d’abord déterminée comme sujet central du récit en tant que thème de la première phrase et sujet syntaxique du verbe vivre : la tribu vivait.
Ce premier verbe du récit est à l’imparfait, il exprime un état de continuité. C’est aussi un verbe en Etre. Il s’oppose aux verbes en Faire 12 qui marqueront la rupture de la tranquillité. Mais en ce début d’histoire, l’ensemble de la tribu est paisible et vit sous de calmes auspices, loin de tout ennemi. Tout indique un temps de paix.
La tribu ne reste pas un tout imprécis et flou. Nous pouvons entrer dans le détail de sa composition : les hommes, les femmes, les esclaves, la reine, et plus tard, le sorcier, le fils de la reine.
Malgré les premières apparences de sécurité, la situation de stabilité porte donc en soi le germe de la guerre. Elle pourrait garder encore une existence par connotation puisque d’anciennes victoires militaires amenèrent leur butin d’esclaves. Pourtant ceux-ci ne sont que les fils des premiers captifs, ils ont avec le temps panser leurs blessures et sont devenus aussi heureux que leurs maîtres. La paix est donc d’autant plus générale qu’elle est à la fois externe et interne.
Les divers éléments composant le groupe bénéficient ainsi de tous les qualificatifs mélioratifs : les hommes sont nombreux, nobles et courageux. Les femmes sont belles et joyeuses. La reine reste la plus belle parmi les plus belles.
Ces qualificatifs signalent une organisation sociale basée en partie sur une division sexuelle des tâches. La noblesse et le courage honorent les combattants victorieux dont les butins en esclaves assureront la charge laborieuse de la tribu. Et comme la joie et la beauté sont les attributs caractéristiques de la paix autant que la laideur devrait être la marque de la guerre (les dialectisations apollinairiennes façonnent une Merveille de la guerre – mise en gravures par Jan Měříčka – en sont le contre exemple), les femmes et la reine archétypale sont les garantes de l’épanouissement familial et d’une nombreuse descendance.
Il est à noter qu’à partir de l’invasion ennemie, la tribu redevient une unité compacte. Face à l’ennemi, tous les membres font corps. Ce tout soudé et indéterminé est représenté linguistiquement sous plusieurs formes :
- par une forme impersonnelle et indéfinie : il fallut quitter, il fallait fuir (qui marquent la nécessité impulsive de la fuite.)
- par des synonymes : la horde, le peuple en fuite.
Cette unité se comprend aussi comme l’ensemble de tous les éléments qui la composent. Ainsi la tribu devient les fugitifs. La narration utilise donc la forme de la troisième personne du pluriel : ils sujet de verbes en faire au passé simple : partirent, laissèrent, arrivèrent. On retrouve cette forme déclinée dans leur passage.
A l’intérieur de cet ensemble, la figure de la reine se distingue. Elle apparaît comme sujet du verbe marchait. En ce sens elle fait bien partie de l’ensemble plus large qu’est la tribu en proie à une nécessité impérieuse de fuir. Mais tout le long de l’intrigue, la reine marche la dernière. Elle s’expose le plus directement à l’ennemi, elle s’impose comme exemple et assume les plus grands risques. Quelles que soient les circonstances, elle reste droite au bord de l’abîme.
Pokou bénéficie aussi de la quasi-exclusivité du faire qu’elle partage avec le sorcier. Ils sont les seuls membres de la tribu qui ne se content pas de fuir : le sorcier les [richesses] repoussa du pied et montra le jeune prince. Mais la reine reste la plus active : portant, serra, leva, lança, trouva, passa.
C’est elle qui assume entièrement la responsabilité du sacrifice de son fils puisqu’elle lance elle-même son enfant dans le fleuve.
La dernière occurrence verbale, elle put dire, marque un changement de sémantisme dans l’action générale. A côté de la fuite apparaît la parole. La parole est le bien de la reine, mais plus encore du sorcier qui est sujet de deux occurrences verbales : parla, il dit.
Cette parole, sous la forme des deux chants de l’exil et de l’espoir, appartient aussi à l’ensemble du groupe : la tribu entonna son chant, le chant retentit, le peuple passa en chantant.
Le chant de l’exode est un appel à l’aide : Ano, mon mari viens, les génies de la brousse m’emportent. Il est un exemple caractéristique d’une fonction essentielle du langage : dire l’absence. Le personnage du mari est la figure manquante de cette histoire, il ne reste de lui qu’un souvenir murmuré par une mélopée.
Retenons pour l’instant que la tribu, sous ses différentes formes, est sujet de verbes de mouvement, elle est essentiellement caractérisée dans cette légende comme une tribu en fuite. Ce déplacement spatial corrobore donc le schéma structuraliste, la tribu est un héros en quête. Mais cet aspect de l’action prend place au côté d’un aspect langagier. Des paroles déterminantes surgissent. Face à la parole collective qui désigne l’absence, s’imposent les paroles particulières du sorcier et de la reine.
La tribu est donc un organisme complexe mais incomplet puisque, mis à part sa présence métadiégétique 13, le mari est la figure manquante de ce mythe. Il faut en conclure soit qu’il est parti en exil, soit qu’il est mort. Il y a peu de chance pourtant qu’il soit décédé à la guerre puisque la tribu ne possède pas d’esclaves de première génération. Il n’y a donc pas eu de conflit récent au cours duquel le roi aurait pu disparaître. Que lui est-il arrivé ? Il n’est pas encore temps de répondre à cette question, la guerre et l’exode pointent déjà.
3.2 – Complexité de la réalité externe
La seule quantité des ennemis nombreux pourrait porter la responsabilité de la défaite. Chassée de son territoire, la tribu entame la quête d’un nouvel havre de paix.
L’ennemi n’est pas considéré comme un représentant humain à part entière. Il est comparé aux fourmis géantes, les magnans. La tendance à refuser à l’étranger un statut complet d’humain est une constante de toutes les civilisations. On la retrouve dans la représentation du monde antique. Si la Grèce est peuplée d’humains, les contrées limitrophes ne sont déjà plus que peuplées de barbares, des hommes à peine dégrossis et communiquant encore par boborygmes. Les régions les plus excentriques, sont quant à elles le lieu de résidence des monstres : Minotaure et autres sirènes. Le degré d’humanité accordé par le locuteur à tout individu considéré est l’inverse de la distance qui sépare cet individu du centre historique de civilisation d’origine du locuteur. Plus les hommes habitent loin du temple de Delphes, nombril du monde, et moins les Grecs leurs accordent une valeur d’humanité.
Une tendance corollaire consiste évidemment pour les peuples à se nommer eux-mêmes humains. Les exemples sont innombrables.
La tribu voisine apparaît comme un féroce animal prédateur. Mais si cet ennemi n’accède pas tout à fait à l’humanité, il garde sa spécificité en restant le seul qui soit absolument hostile à la tribu. Les autres animaux rencontrés lors de la fuite sont relativement passifs, voir craintifs. Les seules velléités d’agression restent sonores. Ils ne font que ricaner ou grogner, mais la majorité des animaux s’écarte et fuit loin du chemin emprunté par la tribu. Le ricanement des hyènes, animaux charognards, nous font croire qu’elles se réjouissent déjà d’une possible fin tragique. En tous cas, un premier élément du monde semble se distinguer, l’élément animal.
Le deuxième élément naturel qui s’oppose à la fuite de la tribu est le monde végétal. La forêt et les épines arrachent les pagnes et entaillent la chair des exilés. La dense végétation ralentit la fuite et accentue le danger et le risque d’être rattrapé par l’ennemi. Les plantes épineuses apparaissent comme un obstacle encore plus hostile, plus féroce que les animaux. Enfin, si nous considérons les épines comme des griffes végétales, alors les frontières qui séparent les éléments dans leur définition, ont tendance à s’estomper.
On peut voir dans le fleuve un autre élément, minéral, qui s’impose comme l’obstacle ultime qui glace les fugitifs d’effroi. Cet élément, dans sa représentation animiste possède un caractère vivant très net. Il mugit tel une bête fauve et fait preuve d’une force étonnante en s’élevant jusqu’aux cimes des arbres, il se constitue ainsi barrière naturelle infranchissable.
Tout comme l’humain, le fleuve est doté de sentiments et de paroles. Son mugissement lugubre reprend en écho le chant plaintif de l’exil. La puissance du caractère magique s’en trouve amplifiée au détriment de la tribu. Les agissements maléfiques des génies ne rencontrent pas d’opposition. Au contraire, ils possèdent le pouvoir d’exciter le fleuve contre les fugitifs. Personne, pour l’instant, ne réussit à s’ériger contre la tyrannie de ces volontés de l’ombre.
Ainsi la malédiction n’est pas le seul résultat d’éléments matériels. Les génies évoqués par le chant et le fleuve apportent une dimension supplémentaire, celle de la magie, celle d’un autre monde où une autre force est à l’œuvre. Les travaux de Frazer, repris par Freud dans Totem et tabou, nous apprennent que les peuples du Pacifique baptisèrent cette force Mana 14.
On constate donc que les éléments naturels participent d’un même ensemble comportemental d’opposition systématique à la tribu. Cette communauté des actions incite à dialectiser les différences qui distinguent les éléments. Chacun des éléments possède des caractéristiques de l’autre. L’homme est aussi un animal, la forêt possède des griffes et le fleuve fait entendre sa voix. La nature, comme un tout dont les éléments sont à peine différenciés, manifeste son hostilité profonde. L’ensemble de la création se ligue contre la tribu. Au mieux peut-elle espérer une passivité craintive de quelques animaux. Mais les charognards se réjouissent déjà. Pour leur échapper, elle devra résoudre l’énigme du fleuve.
3.3 - Dénouement et analyse freudienne
3.3.1 - L’énigme du fleuve
Le fleuve est l’ultime épreuve, il est une muraille infranchissable qui monte jusqu’aux cimes des arbres. Son caractère, comme celui de l’homme, est changeant. Alors que l’Eau [les] faisait vivre, elle laisse les conquérants [devenir] plus proches. Son caractère est soumis à un causalisme psychologique tout comme l’ensemble des éléments naturels de ce monde animiste. Il existe donc une raison qui a causé ce changement.
A l’image du Sphinx qui terrorise Thèbes, l’intelligibilité de la volonté du fleuve n’est pas accessible au commun des mortels. Elle est une énigme à résoudre. Dans le système animiste, le sorcier et le roi sont en situation de communication privilégiée avec l’âme du monde Mana. Ils possèdent la capacité de comprendre et de transmettre les messages de la nature.
Notons ici que cette fonction spéciale du sorcier se retrouve sous des formes variées à travers l’Histoire de l’Europe. Du point de vue des sciences, l’enseignement que nous délivre l’étude du monde n’est pas accessible au seul bon sens concret et au langage commun qui lui correspond. Galilée nous dira que c’est en langage mathématique que parle la nature, un langage dont les lettres et les syllabes sont des triangles, des cercles, des droites 15. Trois siècles plus tard il en ira de même quant à la littérature. Baudelaire nous souffle que La Nature est un temple où de vivant piliers laissent sortir de confuses paroles 16. Rimbaud lui aussi se penche pour écouter une fleur qui lui dit son nom 17. Au poète de décrypter.
Le scientifique, le poète et le sorcier se réunissent ici dans leur fonction. Ils savent déchiffrer le langage de la diversité foisonnante du réel. En lui donnant un ordre qui dépend de leur technique respective, ils rendent ce réel intelligible au plus grand nombre. Néanmoins, dans le cas du sorcier, le langage de la Nature et du fleuve, même traduit reste ambigu.
Le fleuve exige que la tribu se sépare de son bien le plus précieux. Cependant son discours n’est pas immédiatement compris. En vain chacun se déleste de ses richesses matérielles. Mais l’or et l’ivoire sont des futilités sans valeur. Le sorcier devra préciser le sens de cette métaphore en montrant le jeune prince. Le fleuve exige un sacrifice humain.
L’époque animiste connaît toujours la loi du talion. Un mort appelle un mort. Or le système restrictif du tabou a pour but justement de construire une série d’interdits dont le strict respect protégera la tribu contre les forces magiques.
La personnalité du chef de la tribu est particulièrement soumise au tabou en tant qu’elle est un représentant de cette force magique. Une atteinte envers le chef a donc pour résultat de déclencher la vengeance de Mana. L’acte, qui entraîne une telle malédiction à laquelle participe l’ensemble des éléments naturels, va nécessairement à l’encontre des principes naturels et fondateurs de l’humanité.
Déjà dans la mythologie grecque, le supplice inhumain auquel a été condamné Tantale ne faisait que répondre à l’inhumanité de son crime : le cannibalisme familial. De la même façon, le caractère inhumain de cruauté du sacrifice exigé par le fleuve ne peut répondre qu’à un acte qui possède les mêmes caractéristiques : la cruauté et le non-respect des principes fondateurs de l’humanité.
Quel est donc ce crime qui déclenche la colère des dieux ?
Le chant de l’exil de la tribu fournit un début de solution. En effet, s’il est nécessaire d’appeler le mari, c’est qu’il est effectivement absent. De plus cette absence est un manque qu’il est important et nécessaire de combler. Pourtant cet appel, ce chant, reste sans effet. Le mari n’intervient jamais en faveur de la tribu, Ano a disparu.
On pourrait imaginer que le personnage du père est tout de même représenté symboliquement. Le sorcier s’imposerait alors comme un substitut de la figure paternelle. Il serait dans ce cas aussi possible d’analyser la légende du seul point de vue de l’économie des relations familiales. Mais faute de place, nous n’engagerons pas notre étude dans cette voie qui conclurait éventuellement que la liberté du fils est conquise une fois que la mère a fait le deuil de son amour possessif. Ainsi, chaque fois qu’un adulte apparaît, un enfant disparaît.
Le terrain de l’analyse des groupes nous semble plus opportun puisque la légende évoque tout un peuple et pas seulement l’évolution d’une famille restreinte.
Dans ce chant, le mari occupe à lui seul la fonction militaire résumée à sa plus simple expression de protection familiale. Sans lui la femme-tribu sera emportée par les génies, êtres énigmatiques anthropoïdes, comme déjà les Sabines étaient enlevées par les Romains.
3.3.2 - La résolution de l’énigme : le repas totémique
Nous parvenons ici à l’exposition d’une thèse classique des théories freudiennes : le complexe d’Œdipe.
Corrélé aux travaux de l’éthologie comparative fondée par Konrad Lorenz 18, il est possible d’exprimer ce complexe simplement. Cette simplicité s’accroît d’autant plus qu’on substitue à la primauté de la pulsion sexuelle la pulsion d’agressivité 19.
Cette pulsion a pour but de chasser par la force toute concurrence. Deux congénères en présence sont en effet deux concurrents car ils se disputent un même territoire et tout objet qui s’y trouve. L’objectif de ce comportement peu sympathique et profondément anti-rousseauiste est d’assurer la survie de chaque famille. Pour garantir le développement de leur progéniture, les parents doivent être en mesure de leur fournir toute la nourriture, tout le bois de chauffage, tous les biens de construction et d’habillement dont elle aura besoin. Et ces besoins ne seront satisfaits que si le matériel nécessaire est disponible. L’élimination de la concurrence permet ce résultat. La lutte intra spécifique, qui oppose les représentants d’une même espèce, est donc un outil primordial quant à la survie de l’espèce représentée par un ensemble de familles.
Si les concurrents estiment que l’adversaire n’est pas supérieur en force, ils n’auront alors, ni l’un ni l’autre, aucune raison de fuir. La lutte commencera donc. Elle finira par le meurtre d’un des congénères si par malheur aucun des deux ne se résout à abandonner le combat. On peut même imaginer les deux combattants s’entre tuant comme le feraient devant les portes de Thèbes Etéocle et Polynice, les frères d’Antigone, les enfants d’Œdipe et de Jocaste. Heureusement que les lois composées par la Nature rendent ce cas improbable. Pourtant elles laissent vacant un espace pour le possible. Or la mutation technique du 6 août 1945 a teinté le hasard de potentialité d’une morbide universalité.
L’enfant face au concurrent qu’est son père verra sentir en lui cette pulsion d’agressivité. Certes une inhibition finira par se mettre en place, pourtant chaque fils se sent coupable à un moment donné de son développement de l’envie de tuer son père puisqu’il ne peut pas le chasser de son territoire. La cohabitation ne devient possible qu’à la condition que le concurrent le plus faible reconnaisse son infériorité et abandonne ses prétentions instinctives.
On aborde ici le complexe de castration que la mythologie grecque a symbolisé sous forme du père Chronos dévorant ses enfants. Cette image ensanglanterait souvent les rêves d’enfants.
Le premier système familial, naturellement de type patriarcal, est donc une tyrannie du père. Sur le plan sexuel, les fils sont contraints pour assouvir leurs besoins de s’exiler et de fonder un autre clan. Mais si les frères ne considèrent pas les populations étrangères au groupe comme totalement humaines, cette échappatoire leur est également interdite. Alors devant l’impossibilité d’accomplir leur personnalité à l’extérieur, les frères sont contraints de la développer à l’intérieur. Las de subir la castration de fait, ils s’unissent et assassinent le tyran familial.
La révolte de la fratrie renverse la tyrannie et permet un développement plus harmonieux des individus au sein du groupe.
Après le crime, les fils dévorent le cadavre du père. Cet acte de cannibalisme est dénommé le repas totémique. On le retrouve symbolisé dans la tradition catholique par l’Eucharistie et sous une forme plus ritualisée dans l’Aïd-El-Kébir musulman. La raison s’en trouve dans la représentation animiste. Le chef du clan possède en lui cette force du monde qu’on a appelée Mana. En dévorant le père, les fils se réapproprient sa force.
Mais si chacun des frères prend une part égale de la force du père, alors ils se retrouvent tous absolument égaux entre eux. Aucun d’entre eux ne pourra revendiquer la place privilégiée du chef. Et si donc les mâles du clan ne peuvent devenir roi, la mère la plus âgée devient reine. Ainsi débute le système du matriarcat.
C’est donc à ce moment que commence la légende Baoulé, juste après le meurtre du père par la fratrie, quand, dans la tribu sur laquelle règne la reine Pokou, tout est redevenu calme et paisible.
4 – Conclusion : nouvelle intégration du Moi collectif
Aujourd’hui la tribu Baoulé est un peuple – qui comme tous les autres peuples subira toutes les peines des tragédies des mondes historiques. La mutation politico-historique a marqua une nouvelle intégration du moi de la tribu. L’amour familial s’effaça au profit du devoir envers le peuple dans son ensemble. Sous le coup de la défaite et de l’exode, et grâce à l’aide de la compréhension du langage, il est soudain devenu évident dans la conscience diégétique de Pokou et de tous les réfugiés de la réalité extra diégétique, que le salut du groupe restreint ne pouvait passer que par la sauvegarde du groupe élargi.
Le fait que l’ensemble de la tribu eu réclamé un mari unique, nous a amené à supposer qu’Ano, le mâle dominant possédait l’exclusivité sexuelle à l’intérieur de la tribu. Chaque membre du groupe était-alors soit l’enfant soit la compagne du mâle. Autrement dit, à l’époque métadiégétique du chant, l’organisation politico-économique de la tribu se calquait encore sur le modèle des relations familiales protectrices. C’est le sentiment de filiation au père – unique géniteur du clan – qui cimentait les individus dans le groupe.
Mais, après le repas totémique, la reine maintint, pour un temps seulement, ce lien d’unification. Elle bénéficiait ainsi d’un pouvoir laissé vacant par la disparition du père.
La situation, en ce qui concerne la définition de ce pouvoir, évolua une fois que Pokou eut fait preuve de cet étrange courage, qui consiste à sacrifier son fils pour la sauvegarde de la tribu, Pokou avait redonné à la fonction de pouvoir une autre signification.
Il est dès lors possible d’interpréter la métaphore du sacrifice du point de vue de la filiation. En période de combat contre un ennemi, les fils qui partent à la guerre sont sacrifiés au détriment de leur famille. L’idée de protection ne s’attache plus à l’idée de famille, restreinte ou clanique, mais à l’ensemble du groupe. La reine Pokou qui est à la fois reine et mère, impose une nouvelle morale qui intègre la notion de peuple en l’articulant sur deux axes. La réorganisation des relations internes, qui autorise un épanouissement plus libre des personnalités, se double d’une nouvelle stratégie de défense du groupe. Cette recomposition impose à l’individu de se considérer comme faisant partie de ce peuple avant que de faire partie d’une famille. A observer les points communs entre par exemple la Légende de Sámo 20, qui participe à un ensemble mythique d’histoires sur la fondation du peuple tchèque, et la Légende Baoulé, on peut se demander si les chroniques historiques de certains moines ont plus de valeur d’objectivité qu’une seule légende. Sámo est connu pour avoir unifié les tribus qui occupaient l’actuel territoire tchèque. Cette unification du peuple est également le résultat d’un affranchissement. Grâce à leur lutte, ces tribus se sont libérées du joug des Avars qui pratiquaient une exogamie forcée dont les femmes slaves étaient les victimes. Ces mères voyaient leurs enfants confinés dans un statut de citoyen inférieur. Froissées par le sentiment d’injustice, elles poussèrent leurs fils à la révolte. Soit encore le sacrifice des plus jeunes pour la liberté de tout un peuple. On arriverait à des conclusions certainement en tous points similaires en étudiant le sacrifice romanesque de Roland, le neveu de Charlemagne.
Mais suivant la critique lorenzienne de la primauté de la pulsion sexuelle sur l’explication des comportements humains, on pourrait en guise de conclusion reformuler le problème dans une optique plus Jungienne.
- La création du moi du peuple se crée lors de la répartition égalitaire des possibilités de prise du pouvoir. Elle correspond à une recomposition du moi individuel qui apparait au moment de la disparition du père le laisse vacant, n’attendant plus que d’être saisi par qui saura imposer son autorité. Chacun des membres ressent en lui le soudain et premier sentiment d’une prise du pouvoir possible. Etre enfin le calife à la place du calife comme en rêvait le vizir Iznogood, le personnage hystérique de Goscinny.
Freud laisse entendre que le Matriarcat ne serait qu’une époque transitoire. Elle il faudrait davantage lui accorder le caractère primordial d’être un autre du patriarcat. Le rapport politique de la distribution du pouvoir ne saurait se réduire à une opposition binaire entre deux sexes. En devenant un premier exemple d’une autre politique des rapports de force, le Matriarcat ouvre l’imagination vers une multitude d’organisations possibles.
Le moi enfin comptait jusqu’à trois, outre le non moi et le moi, surgissait l’autre troisième, un hôte de trop dans la non conscience du monde. En intégrant le moi collectif, l’individu imagine un partage des libertés pulsionnelles collectives par une inhibition des pulsions individuelles. Un contrat social.
Ainsi l’effroi, la tragédie de la Légende Baoulé ne sont que des étapes, des épreuves que le principe de réalité dresse sur le chemin des libres développements heureux des individus et des peuples. Cette histoire est une recomposition d’un Moi collectif qui se libère du joug de sa pulsion et qui, au prix du sang, apprend à y faire face.
D’après l’axiologie causale de Lorenz, la pulsion d’agressivité bénéficie du refoulement le plus profond. Mais qu’importe ici le chatoiement composite des forces pulsionnelles entremêlées de leurs potentialités respectives. Davantage, retenons que, le courage, devant la douleur, et l’espoir, en ses capacités intimes à trouver méthodiquement le chemin de l’apaisement, sont les conclusions de cette Légende Baoulé.
Liberec, le 6 février 2003
RÉSUMÉ
Baulská legenda 2 je zakladatelský mýtus svého národa. Ačkoliv se způsobem provedení může příčit našim dnešním morálním hlediskům, k založení národa muselo dojít. Nezbývalo, než aby královna Poku obětovala život svého dítěte.
V příběhu matky, která musí zabít vlastního syna, se tak setkáváme s narativním schématem protichůdným příběhu Oidipa 3, který se stává vrahem svých rodičů.
I přes přítomnost magického živlu, který národu královny Poku bez ustání zasahuje do života, není možné v Baulské legendě spatřovat pouhou pohádku. Není to žádný láskyplný dar určený dětem (Bettelheim : Psychoanalýza pohádek, str. 45) 4. Je to pravý mýtus, jehož hrdina je líčen tak, aby to v posluchači vyvolávalo potřebu napodobovat ho, a to celým svým životem a v míře, jak to jen bude možné (Bettelheim, citované dílo, str. 44). Ale když už byl jednou čtenář identifikován jako dospělá osoba, přináší to určité omezení pro aplikaci důsledků, které z Bettelheimových metod vyplývají.
Připomeňme, že zájem tohoto typu freudovské analýzy se soustřeďuje na to, odkrýt v dané legendě základní motivace. Pokud bude moci porozumět skrytým pohnutkám, dokáže pak posluchač úspěšněji snášet i zmrazení, které v něm vyvolává šepot královny Poku v oněch chvílích, kdy se jí vrací myšlenka na obětovaného syna : „Bauli!“ (to jest : „Dítě je mrtvé!“).
Ale jak proměnit mýtickou vzpomínku osoby, která zavraždila vlastní dítě, v pocit dostatečně pozitivní, aby se s ním dospělí jedinci mohli ztotožnit a vytvořit spolu jediný lid?
Pokusili jsme se na tuto ústřední otázku najít odpověď, přičemž bylo potřeba rozdělit naši práci zhruba do dvou částí.
Za metodické východisko jsme přijali teoretický model vypracovaný Bruno Bettelheimem : úkolem mýtického hrdiny je sublimovat pudové podněty tím, že přetvoří skutečnost, a smíří tak dva základní principy — princip reality a princip slasti.
Bettelheim zároveň zdůrazňuje, že rozpoznání etické hodnoty je racionálním úkonem, po němž následuje smyslové uspokojení založené na důvěře v přísliby budoucnosti. Tak paradoxně ani smrt dítěte královny Poku nevylučuje lepší příští. Může se dokonce stát i zdrojem jakéhosi štěstí.
Abychom překlenuli tento zjevný paradox, musíme se vyrovnat s rozštěpeností lidské psychiky. Vzdálen iluzorní jednotě karteziánského „ego cogito“, vstoupil kdysi Sigmund Freud 6 do evropského myšlení s modelem vnitřního života člověka, jenž je znám pod názvem „druhá topika“.
Rozlišuje celkem tři autonomní, ve své funkci na sobě nezávislé složky osobnosti : Id („Ono“), Ego („Já“) a Superego („Nadjá“) 7.
- Id – pudová složka osobnosti, instance zřejmě nejdůsažnější ve svém vlivu. Nese stopy fylogenetického dědictví a vytváří chování, které zajišťuje přežití druhu skrze individuum, a někdy i na úkor individua. Působí na základě energie, kterou vyvolávají čtyři základní pudy, jež mohou být uvedeny do chodu i z vnějších podnětů : agresivita, sexualita, nasycení a útěk.
- Ego – usměrňuje Id, neuspořádané pudové podněty uvádí do souladu s vnější realitou. Když rozhoduje, za jakých podmínek se touhy Id dají uskutečnit, musí si Ego udržovat podporu těch psychických sil, jež mu umožňují být dostatečně silné, aby obstálo vůči budoucnosti a překonalo obtíže běžného života.
- Třetí složkou lidské psychiky je to, co se nazývá Superego. Je sídlem morálky, kterou zde definujeme z hlediska funkčního – jako zvnitřněnou autoritu. Morálka je aktivní vzpomínkou na autoritu rodičů 8.
Relativní autonomie těchto tří složek psychiky může způsobit narušení celkové duševní rovnováhy. Pokud se jejich zaměření, už od podstaty rozdílná, nesbíhají do stavu, který by mohl být pociťován jako spokojenost, začne psychický subjekt strádat.
Jelikož uznává kauzální zákonitosti psychiky, klade si psychoanalýza za úkol vítězit nad touto patologií (neuróza, paranoia...), která stojí v protikladu k duševnímu zdraví.
Momentální vztahy, jež zavládají mezi tím, co je vně (oblast extra-subjektivní) a uvnitř (oblast psychiky), mají samozřejmě velmi zásadní dopad na pocit uspokojení a smíření mezi třemi zmíněnými složkami lidské osobnosti. A právě zde získávají pověsti a mýty zjevnou výhodu. Jejich nenahraditelnost spočívá v tom, že konflikty subjektivní reality předvádějí jako objektivní děj. Přestože vyjádření této objektivity zůstává metaforické a musí být rozluštěno, neztrácí tím nijak svou moc smiřovat psychické zmatky.
Pohádky byly součástí výchovy každého z nás, a z toho lze usuzovat, že hlavním úkolem výchovy je dosáhnout toho, aby byly děti schopné dávat svému životu smysl. Výchova tak musí rozvinout schopnost posuzování, protože dávat vlastnímu životu smysl lze pouze za podmínky, že různé rozdílné možné smysly budou porovnány mezi sebou a že z celé šíře možností bude vybrán právě ten smysl, který „dává smysl“. Bettelheim se ztotožňuje s freudovskou morálkou, jež tvrdí, že člověk je s to dávat smysl své existenci jen tehdy, pokud s odvahou vychází do boje proti tomu, v čem vidí tíživou nesrovnalost (Bettelheim, cit. dílo, str. 19). Tato morálka, i přes její prvotní vyjádření v náboženském hávu, přináší osvobození. Osvobozuje individua ze strachu před animistickými autoritami, bez ustání připravenými stíhat svým hněvem chybujícího člověka, o čemž vypovídá ještě i začátek Baulské legendy. Člověk se konečně rozhoduje dělat dobro ne ze strachu před potrestáním, ale protože je to jeho vůle.
Zároveň s nástroji psychoanalýzy využíváme v této studii i nástroje lingvistiky, a to v podobě, jak je vypracovala strukturalistická škola. Umožňuje to ověřit, zda popisné principy vypracované psychoanalýzou obstojí před matérií textu. Lze konstatovat, že schémata narativních struktur, uvedená v Evropě například nebo A. J. Greimasem 9 V. Proppem 10, se přímo nabízí aplikovat i na Baulskou legendu, text původně vycházející z orální tradice.
1 – Přichází nařízení, aby se hrdina vydal na výpravu. Hrdina, kterým je celý kmen, podléhá pudu vycházejícímu z Id. Musí se vymanit zpod nadvlády krutých nepřátel, uniknout jejich útokům, což znamená, že kmen je veden pudem útěku.
2 – Jádrem pověsti je výprava. Směřuje k předmětu, kterého má hrdina za úkol dosáhnout. Jde o hledání, jak jiným způsobem přeskupit psychické síly. Právě nová integrace dovolí překonat úzkost vyvolanou pudem, který nebyl adaptován na vnější realitu. Výprava slibuje získání míru uprostřed nového území. Pud musí dojít svého uspokojení, kmen se vydává na útěk, aby dosáhl bezpečí.
3 – Během cesty je hrdina vystaven řadě zkoušek, které musí překonat. Tyto zkoušky představují odpůrce usilujícího o to, aby překazil hrdinovi jeho výpravu. Hrdinovu Já (Ego) odpovídá určitá vnitřní realita, která se liší od reality vnější, extra-subjektivní. Princip slasti a princip reality se rozcházejí. Jako nepřítel se tu proti hrdinovi staví Příroda ztělesněná nejrůznějšími svými součástmi, zvířaty, rostlinami a řekou. Hrdina tak zakouší různé podoby principu reality.
4 – Hrdinu podporuje pomocník, nejčastěji vycházející z magie. Chaotická vnitřní fantasmagorie je energií, která může najít i pozitivní využití. Jelikož je původem nevědomá, nedá se tato energie rozpoznat racionální cestou, takže na sebe bere magickou podobu. Hrdina objevuje možnost sublimace pudu. Na pomoc mu přichází kouzelník, který mu ve formě hádanky zjevuje, jak překonat poslední etapu a dosáhnout cíle cesty. Kmen podstoupí jakousi „zkoušku odvahy“, aby odkryl poselství Přírody. Tím přichází na prostředek, jak zajistit svou kolektivní bezpečnost v návaznosti na bezpečnost individuální.
5 – Když je předmět, kvůli kterému bylo třeba vydat se na výpravu, jednoho dne dosažen, čeká hrdinu odměna. Díky novému přeskupení své psychiky zažívá pocity konečného uspokojení, neboť principy reality a slasti se znovu dostávají do souladu. Onou odměnou je přerod celého kmene, který se mění v národ. Skupina uvádí složky své psychiky do nové integrace, mezi jejími členy se ustavují zcela nové vztahy.
V africkém příběhu, kterým se zabýváme, je možné rozlišit tři části.
Děj Baulské legendy počíná líčením minulých časů. Vyprávění nastiňuje obraz lidu, který žil v hojnosti díky úrodným plantážím a rybnaté laguně. Ale kmen nám není představován jako nevyhraněný, splývající celek. Od počátku máme příležitost pozorovat jednotlivé součásti, z nichž se skládá : muži, ženy, otroci, královna, později kouzelník, královnin syn. Zvláštní místo uvnitř tohoto celku si pak zjednává postava královny. Poku se mimo jiné vyděluje i tím, že je zachycována při činu, je v příběhu postavou výrazně aktivní, což má společné s kouzelníkem. Ona sama na sebe bere odpovědnost za obětování svého syna, když jej vlastníma rukama vrhá do řeky.
Ale tento dějový aspekt stojí v sousedství aspektu jazykového. Vyjadřují ho performativní promluvy, kterými se kouzelník a královna nápadně liší od řeči kolektiva, jež vyjadřuje především nepřítomnost postavy jménem Ano.
Nesmíme zapomínat, že v této legendě je kmen, a to se týká všech jeho součástí, charakterizován především útěkem. Přesun v prostoru zapadá do strukturalistického schématu – kmen je hrdinou na výpravě 11.
Je komplexním organismem, který ovšem není zcela kompletní, neboť – přes svou přítomnost metadiegetickou 13 – postava manžela v tomto mýtu chybí. Z toho se dá vyvodit buď to, že byl vyhnán, nebo že zemřel. Jaký měl tedy osud?
V každém případě, když se kmen dává na útěk před nepřáteli, manžel v něm není. Ve druhé části příběhu se zvyšuje výskyt dějových sloves v passé simple, slovesném čase, jímž je vyjadřován sled minulých dějů přicházejících po sobě v pravidelném rytmu. Je to čas změn. Začíná jím cesta do vyhnanství, plná tolika zkoušek a útrap.
Z textové analýzy lze vysledovat, jak se přírodní živly důsledně sjednocují ve své opozici proti kmeni. Toto sjednocení v posledku stírá rozdíly, jimiž se živly mezi sebou liší. Každý z živlů obsahuje i charakteristiky toho druhého. Člověk je zároveň zvíře (vždyť nepřítel, který nás silně upomíná na Římany při únosu Sabinek, je přirovnáván k mravenci), prales má drápy a řeka zase zdaleka slyšitelný hlas. A jakožto nerozlišný celek příroda nijak neskrývá svoje nepřátelství. Všechna stvoření se spolčují proti kmeni, supi se už stahují k hostině. Aby jim unikl, kmen bude muset rozřešit hádanku řeky.
Řeka je poslední zkouškou, poslední nepřekonatelnou zdí, která dosahuje až k vrcholkům stromů. Má, stejně jako člověk, proměnlivou povahu. Přestože voda dává život, díky se ní teď dostávají uchvatitelé blíž a blíž a ohrožují členy kmene. Její povaha je ovšem podřízena psychologické kauzalitě, tak jako to platí o kterémkoliv z živlů tohoto animistického světa. Musí tedy být důvod, proč u řeky nastala taková změna.
Stejně jako v případě Sfingy, která terorizovala Théby, obyčejným smrtelníkům ovšem není dáno, aby směli pochopit její pohnutky.
Galileo 15 nám odhalil, že velká kniha přírody je psána v jazyce matematiky. Tři století později dojde k obdobnému obratu v literatuře. Baudelaire 16 nám našeptává, že Příroda je chrám, jehož živé pilíře vydávají nejasné promluvy. Také Arthur Rimbaud 17 se sklonil, aby slyšel květinu, která mu sděluje své jméno.
Vědec, básník a kouzelník se tu stýkají ve své úloze. Mají schopnost luštit řeč, jíž promlouvá skutečnost, jinak nepostižitelně mnohá a rozmanitá. Vnášejíce do ní řád, který odvisí od jejich techniky pohledu, zprostředkovávají tuto skutečnost, aby byla pochopitelná co největšímu množství lidí. Nicméně v případě kouzelníka řeč Přírody a řeky i po přeložení zůstává dvojznačná.
Řeka vyslovuje nárok, aby se kmen vzdal svého nejdrahocennějšího jmění. To, co řeka požaduje, je obětování prince.
Animistická epocha je prostoupena zákonem odvety. Smrt volá po další smrti. Zároveň je tu restriktivní systém tabu vytvářející pevnou soustavu zákazů, jejichž bezvýhradné dodržování může ochránit kmen proti magickým silám. Práce J. G. Frazera, které Freud využil ve svém díle Totem a tabu, nás poučují, že pacifické národy nazývaly onu sílu jménem Mana 14.
Zákonům tabu je zvláště podřízena osobnost náčelníka kmene, neboť ten je přímým představitelem této magické síly. Zásah proti náčelníkovi má za následek rozpoutání pomsty Many a všech bytostí, skrze které se projevuje. Pokud nějaký skutek vyvolává tak hrozné prokletí, že na něm přijímají účast všechny přírodní živly, pak to je v každém případě skutek stavící se proti přírodním principům i principům zakládajícím lidskost.
Ale co je to za zločin, jaký skutek to rozpoutává hněv bohů?
K jistému řešení nás v Baulské legendě navedl začátek písně, kterou kmen zpívá ve vyhnanství. Slyšíme zde volání po manželovi, jehož nepřítomnost je tím naléhavější. Ale přestože vše svědčí o potřebě a nutnosti zaplnit prázdné místo, volání zůstává bez odezvy. Manžel nikdy nezasáhne ve prospěch svého kmene, nikdy mu nepřijde na pomoc.
Zde, jak se zdá, do hry vstupuje kastrační komplex. Dítě se s ním vyrovnává v průběhu svého vývoje : podřízeno autoritě rodičů, nesmí překročit vytyčené hranice a projevit se jako konkurent.
Obraz Chronose, který požírá své potomky, se neustále vrací v dětských snech.
Prvotní uspořádání rodiny, patriarchální systém, bylo tyranií otce. V sexuální sféře znamenalo, že synové byli pro ukojení svých potřeb nuceni uprchnout do exilu a založit jiný klan. Tato tyranie vzala za své vzpourou bratrů. Aby skoncovali s kastrační hrozbou, sjednotili se a zavraždili otce-patrona klanu.
Svého otce potom společně snědli. Pro tento kanibalistický akt byl zaveden název totemická hostina. V symbolické formě se s ním setkáváme i v katolické tradici (eucharistie) a ritualizovaněji rovněž v islámu (Aïd-El-Kébir). Důvod ke kanibalismu vyplývá z totemistického světonázoru. Je-li náčelník kmene ztělesněním oné světové síly, která se nazývá Mana, potom jeho snědením získávají z něj tuto sílu i synové.
Když ale každý ze synů přijme stejnou část otcových sil, výsledkem je to, že mezi nimi panuje rovnost. Žádný z nich si nemůže nárokovat privilegované postavení náčelníka. A jestliže se samci v klanu nemohou stát králi, potom se královnou stává nejstarší matka. Tím začíná systém matriarchátu.
Právě do tohoto momentu spadá i začátek Baulské legendy : potom, co otce odstranilo spiknutí bratrů, vykonává vládu nad kmenem královna Poku, čímž se obnovil klid a mír.
Dnes je kmen Baulů národem. Tato proměna odpovídá nové integraci Já v kmeni. Rodina a rodinná láska musely ustoupit před národem a povinností vůči národu jako celku. Bylo zřejmé, že ochrana omezené skupiny se dá uskutečnit jen pod záštitou širší skupiny, vnímající se od nynějška jako národ.
To, že celý kmen ve své písni volá jediného manžela, nás opravňuje k domněnce, že Ano, dominantní samec, měl uvnitř kmene sexuální výlučnost. Každý člen kmene byl buď dítětem samce, nebo jeho souložnicí.
Jinak řečeno, v epoše, o které nás zpravuje píseň z vyhnanství, politickoekonomická organizace kmene kopírovala model rodinných vztahů. Je to synovský pocit vůči otci – jedinému zploditeli klanu – který zde sjednocuje všechna individua.
Po totemické hostině přejala tuto sjednocující úlohu královna, protože jí přirozeně připadla moc, jež se po odstranění otce vázala k jeho uvolněnému místu.
Ale jakmile Poku podstoupila onu nebývalou zkoušku odvahy a pro záchranu kmene obětovala vlastního syna, naplnila svoji mocenskou úlohu zcela odlišným smyslem.
Předložme to jako jednu z možných interpretací metafory oběti. V časech bojů proti nepříteli je syn, který odchází do války, obětován na úkor vlastní rodiny, aby bránil celý národ. Idea ochrany se už neomezuje na ochranu jednotlivé rodiny či rodinného klanu, ale na ochranu celé skupiny.
Královna Poku, která je zároveň matkou i královnou, nastoluje novou morálku, jež proměňuje vztah obou těchto os v duchu nově vytvořeného pojmu národa. Reorganizace vnitřních vztahů je zdvojena novou strategií skupinové obrany 19.
Na základě tohoto přeskupení už individuum musí samo sebe vnímat přednostně jako někoho, kdo je členem národa, a teprve pak jako někoho, kdo je členem rodiny.
I když to vyvolalo otřes, tragédie Baulské legendy jenom připomněla některé etapy, některé zkoušky nastrojené principem reality, jimž se na své vývojové dráze nevyhne ani jedinec, ani národ, pokud skutečně směřuje ke své nezávislosti a k naplnění svých možností. Je to především naděje a odvaha, co z toho vyplývá.
Přeložil Jaromir F. Typlt
[1] J’utilise la version transcrite par Bernard Dadié. Légendes africaines. Paris, Seghers, 1982.
[2] Bruno Bettelheim, La psychanalyse des contes de fées. Paris, Pocket, 1999, p. 45
[3] idib, p. 44
[1] Je dois ici confesser au lecteur que cette dernière phrase me fait l’impression d’une citation. Malheureusement je suis incapable pour l’instant d’en trouver l’origine.
[2] Idib, p.13
[3] Sigmund Freud Sigmund, L’homme Moïse et la religion monothéiste. Paris, Gallimard, 1986
[1] Sigmund Freud. Le Malaise dans la culture. Paris, Presses universitaires de France, 2000
[2] Bruno Bettelheim, Ibid. p.59
Notes bibliographiques
- PILORGET Michel (sous la direction de), Poètes négro-africains francophones, 1997.
- DADIE Bernard, Légendes africaines, 1954, ISBN 2-266-01168-5.
- SOPHOCLE, Œdipe – Roi (Oidipous turannos), - 430, et l’ensemble du mythe thébain.
- BETTELHEIM Bruno, La psychanalyse des contes de fées (the uses of enchantment), 1976, trad. Carlier, ISBN 2-01-009496-4. La pagination des citations renvoie à l’édition Pocket de 1999.
- RONAN Colin, Histoire mondiale des sciences (The Cambridge illustrated history of the world's science), 1983, trad. Bonnafont, ISBN 2-02-010045-2.
- FREUD Sigmund, L’homme Moïse et la religion monothéiste (Der Mann Moses und die monotheistische Religion), 1939, trad. Heim, ISBN 2-07-070620-6.
- FREUD Sigmund, Malaise dans la culture (ancien titre : Malaise dans la civilisation; Das Unbehagen in der Kultur), 1929, trad. Ch. et J. Odier, ISBN 2-13-047198-6. Le phénomène de Malaise que diagnostiquait Freud est interprété en accordant la primauté explicative à la pulsion d’agressivité par Lorenz qui abandonne l‘étrange notion freudienne de pulsion de mort. Voir LORENZ Konrad, L’envers du miroir (Die Rückseite des Spiegels), 1973, trad. Etoré, ISBN 2-08-211102-4.
- FREUD Sigmund, Le moi et le ça (Das Ich und das Es), 1923, trad. Laplanche, dans Essais de psychanalyse, 1981, ISBN 2-228-30443-3.
- GREIMAS Algvidas-Julien, Sémantique structurale, 1966, ISBN 2-13-039308-X. Je renvoie également au mémoire de maîtrise de Madame Kateřina Giecová pour une présentation complémentaire des méthodes d’analyse des contes, Utilisation des contes africains en classe, diplomová práce : 02-FP-KFJ-18, TU Liberec.
- PROPP Vladimir, Morphologie du conte (Morfologiâ skazki), 1928, trad. Derrida. ISBN 2-02-000587-5.
- DETRIE Catherine (sous la direction de), Pratiques textuelles, 1995, ISBN 2-905397-85-3.
- L’opposition Etre / Faire correspond à deux modalités phrastiques du français : la phrase en Etre correspond à la nomination de l’objet, la phrase en Faire à la symbolisation de l’agir, Pratiques textuelles, p.309.
- GENETTE Gérard, Figures III, 1972, ISBN non disponible sur le catalogue de la bibliothèque nationale. La diégèse est l’univers spatio-temporel désigné par le récit. L’espace métadiégétique, correspond donc à l’univers d’une histoire dans l’histoire. Ainsi, Aladin ou Ali Baba sont des héros métadiégétiques alors que Schéhérazade qui raconte leur histoire relève de l’espace diégétique des Contes des mille et une nuits.
- FREUD Sigmund, Totem et tabou (Totem und Tabu), 1912-1913, trad. Jankélévitch, ISBN 2-228-88127-9.
- GALILEE, L'Essayeur (Il Saggiatore), 1623, trad. Chauviré, ISBN 2-251-60234-8.
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- LORENZ Konrad, Les fondements de l’éthologie (Vergleichende Verhaltensforschung : Grundlagen der Ethologie), 1978, trad. Etoré, ISBN 2-08-081370-6
- LORENZ Konrad, L’agression une histoire naturelle du mal (Das Sogenannte Böse zur Naturgeschichte der Agression), 1963, trad. Fritsch, ISBN 2-08-081020-0.
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