Rex -1.2
500 – 1789 : La titulature des souverains des pays de France
Introduction : exposé de la problématique, de la méthode et du plan de l'article
«Notre roman national peut-être romancé, exagéré ou fantasmé, mais il est notre roman national.»
Nicolas Sarkozy - septembre 2016
https://twitter.com/nicolassarkozy/status/1390335709890875397 [consulté le 18.8.24]
Dans le contexte d'un débat sur l'identité nationale, le sixième président de la Cinquième République (2007-2012) expliquait que l'enseignement de l’histoire en France n'accorde guère d'importance à l'exactitude et à la précision.
Au contraire, afin d'agréguer des membres disparates et hétérogènes au sein d'une grande nation cohérente, cet enseignement se donne comme objectif de construire un passé commun auquel tous les citoyens pourront croire. Peu importe que ces croyances fussent romancées, exagérées ou fantasmées.
Le contenu de cet enseignement prend dès lors l'aspect d'une vague doxa, suffisamment floue et polymorphe pour s'adapter aux gré des besoins des idéologies en vigueur. Selon les exigences du moment, les Français pourront revendiquer comme ancêtres, tantôt des Francs, tantôt des Gaulois…
Même si elle n'a pas toujours été une thématique exclue du champ des discussions académiques et des exigences d'exactitude, le manque systématique de précision, devient particulièrement évident quand il s'agit de décrire aujourd'hui les titres portés par les souverains « français » et de répondre à la simple question de savoir qui est le premier « roi de France. »
En 1885, dans une publication de l’école des chartres, Julien Havet s’évertuait à éclaircir un malentendu à propos du titre porté par les monarques mérovingiens. Son étude conclut que : « le titre de rex Francorum vir inluster n’appartient donc pas à la période mérovingienne » (Havet Julien, p.145)
Ainsi, la connaissance commune contemporaine se contente, le plus souvent, de présenter les souverains en les regroupant par dynasties sans se soucier de leurs titres :
« Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens (Capétiens directs, Valois, Bourbons, Orléans) »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 18.8.24]
L'article de Wikipédia tente de donner un résumé assez élaboré de l'ensemble des titres des souverains à travers l'histoire. Mais cette première approximation mêle les usages populaires des titres et ne s'astreind pas à présenter le titre en langue originale, il manque ainsi le passage crucial de l'apparition du premier titre en français.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 6.1.25]
Cette courte publication se propose donc d'élaborer un tableau, précisant avec la plus grande exactitude possible, et en langue oroginale, les titres portés par les souverains au sud de la Manche (les Gaules ou la France?) Car avant même d'aborder le contenu sémantique de la légende du titre (« roi de France » ou « roi des Francs »), le seul aspect formel de la titulature s'érigera déjà en thème problématique. Quelle langue le souverain utilise-t-il pour se présenter dans les documents officiels originaux, sans passer par leur traduction ? En effet, il n'est en rien intuitif d'admettreque le « roi de France » parle latin et se désigne en tant que « rex Franciae » (ou « rex Francie ».)
Pour construire cette typologie, je me référerai uniquement aux inventaires des sceaux établis par Natalis de Wailly, Sur une collection de sceaux des rois et des reines de France (1843); par Louis Claude Douët d'Arcq, Collection de Sceaux (1863) et par la Base numérique des sceaux conservés en France élaborée par Arnaud Baudin, Jean-Christophe Blanchard, Laurent Hablot, Philippe Jacquet, Ambre Vilain, et disponible en ligne sur le site Sigilla.org. Je prendrai en compte uniquement les titres inscrits dans les légendes des sceaux présents simultanément dans les trois sources et dont les originaux n'ont pas disparu.
Mais, avant d'exposer les différents styles de souveraineté en France (ou en Gaule !) dans un tableau récapitulatif, je présenterai rapidement, à partir de l'étude de divers documents et écrits de commentateurs, l'état de la doxa exprimée par les usages communs quand on cherche à savoir qui est le premier « roi de France ? » Nous verrons pourquoi l'étude des sceaux royaux constitue le chemin le plus sûr pour achever notre entreprise.
***
1 -Qui est le premier « roi de France » ?
1.1 : La réponse polysémique de la connaissance commune.
Les articles « Roi des Français » ou « Liste des monarques en France », disponibles en ligne sur l'encyclopédie Wikipépia, démontrent l'ampleur de l'imprécision dont fait preuve la connaissance commune quand il s'agit de différencier les titres de souveraineté :
- « Le titre de roi des Français rappelle celui de roi des Francs (en latin : rex Francorum), qui était la titulature latine officielle des rois de France, avant que la titulature de rex Franciae (« roi de France » en français) soit adoptée. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_des_Fran%C3%A7ais [consulté le 31.8.24]
- « Apparaît, à partir de 1190, [le titre] de rex Franciæ, roi de France qui sera dès lors en concurrence avec le titre de rex Francorum jusqu'à la Révolution. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 31.8.24].
La forme passive (« soit adoptée »), permet aux rédacteurs de passer sous silence l'identité du complément d'agent. Il n'est fait mention d'aucun souverain. Même si elle semble considérer l'importance radicale de la date de l'Ordonnance-testament (1190), les rédacteurs recourent à de vagues analogies, un titre en « rappelant » un autre. Ainsi la connaissance commune démontre une capacité à vider les titres des souverains de toute signification précise et à les considérer comme des « concurrents », parfaitement interchangeables.
Pourtant, il est difficile de comprendre pourquoi le « rex Francorum » règnererait sur la « France » et pas sur « les Gaules. » Effectivement, la traduction de l'oeuvre de Grégoire de Tours ne laisse aucune place à l'ambiguïté en évoquant l'épopée du réputé premier « roi des Francs » se lançant à la conquête « des Gaules » :
« Le roi Clovis dit à ses soldats : « Je supporte avec grand chagrin que ces Ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir ».
Grégoire de Tours, Histoire des Francs (livre II, édition de Guizot. Paris.1824. texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER disponible sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/gregoire/francs2.htm [consulté le 31.8.24].)
On peut cependant imaginer un « roi des Francs » règnant sur un territoire, et pas un Etat, qu'on appelerait déjà la « France.»
Le moine Rigord, biographe de Philippe-Auguste, propose effectivement une description géographique intégrant un souverain régnant sur un territoire équivalent à la Neustrie ou à la Gaule celtique. On désigne ainsi ce « roi de France » pour le différencier du « roi des Francs » règnant sur la Gaule Belgique :
« À proprement parler, le royaume des Francs est pris lorsque seule la Gaule Belgique est appelée le royaume des Francs, qui s'étend au-dessous du Rhin, de la Meuse et du Liger, et que la Gaule, par un terme approprié, est appelé la France dans les temps modernes. Il est seulement vrai que, à cause de l'insolence des rois des Francs, ils ne méritent pas encore d'avoir cette terre qu'ils appellent de plein droit la France »
"Stricte vcro regnum Francorum accipitur quando sola Gallia Belgica regnum Francorum vocatur, que est infra Renum, Mosam et Ligerim coarlata, quam Galliam appropriato vocabulo, moderni Franciam vocant. Modo vero, propter insolentiam regum^ Francorum, nec tamen terram istam quam Franciam vocant juribus suis in integrum habere merentur.
Delaborde Henri-François. Notice sur les ouvrages et sur la vie de Rigord, moine de Saint-Denis.. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1884, tome 45. pp. 585-614. (p.604)
DOI : https://doi.org/10.3406/bec.1884.447256
www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1884_num_45_1_447256 (consulté le 28.12.2024)
Puisque le royaume de Neustrie disparaît avec la dynastie mérovingienne pour se dissoudre dans l'empire carolingien, il faut rejeter la définition donnée par le moine Rigord qui assimile la « France » à un territoire se différenciant du royaume d'Austrasie quand on entre dans l’époque carolingienne. Les Gaules dans leur ensemble sont remplacées par les royaumes de Francie, orientale, médiane ou occidantale.
Pourtant la « douce France » de Charlemagne subsiste comme une entité entière et différente qui ne se laisse si facilement assimiler ni aux « Gaules » ni aux « Francies ».
L'auteur du Roman D'Aquin décrivait la France du « Roy Charlemaine » à une étendue délimitée par une série de villes représentant une liste de points à conquérir: « Laon, Paris, Chartes, Saint-Denis, Orléans, Soissons. »
Le roman d'Aquin ou La conquête de la Bretaigne par le Roy Charlemaigne : chanson de geste du XIIe siècle / publiée par F. Jôüon Des Longrais.1880. P.8. Disponible en ligne https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81586s/f139.item [consulté le 1.1.25]
A la fin de l'époque carolingienne, sous sa forme la plus étroite, « la France » se réduit au domaine de la seigneurie de Laon :
« Sous les derniers Carolingiens, les comtes et les ducs furent devenus héréditaires dans leur commandements, et [...] eurent réduit le roi de France à n'être plus que le seigneur de Laon... »
JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420...Paris. 1821. Tome I, préface. p.LXXV. Disponible en ligne https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65212800?rk=42918;4 [consulté le 1.1.25]
En jouant sur une polysémie ambigüe assimilant indument « le territoire » et « l'Etat », en traduisant trop rapidement « Francorum rex » par « roi de France », la narration désinvolte de la connaissance commune laisse librement ouvert le champ des interprétations possibles. Chaque souverain devient un « roi de France » potentiel.
Mais en poussant davantage l'étude des affirmations soutenues par la doxa, on s'aperçoit qu'elle fait preuve aussi de contradiction. Des auteurs différents proposent des solutions différentes au problème de l'identité du premier « roi de France. »
1.2.1 : les hypothèses « implicites » : Robert II « le pieux » (996-1031) et Henri Ier (1031-1060)
Robert II « le pieux » (996-1031) :
L’article en français de Wikipédia « Royaume francs » adopte une catégorisation corrélant la variation des styles de souveraineté à la succession des dynasties : les Mérovingiens et les Carolingiens sont considérés comme des « rois des Francs » et Hugues Capet (987-996) d'en clore la liste.
Le concept de « France », apparaissant avec le titre des souverains capétiens, ne semble pas nécessairement désigner un territoire tel qu'on l'imaginait pour les époques mérovingienne ou carolingienne. Mais plus qu'un espace géographique, il pourrait aussi endosser une dimension existentielle et correspondre à un changement dans les coutumes de l'hérédité royale. Alors que la tradition, en vigueur pendant les deux premières dynasties, voudrait que chaque fils hérite de sa part du royaume, à partir du règne de Robert II « le Pieux », un héritier unique monte sur le trône. Ce domaine royal, nouvellement placé en indivision, devient d'abord un principe de fonctionnement auquel on pourra attribuer a posteriori un territoire concret. Il pourra servir de support à l'idée d'un unique « royaume de France », exigeant son unique « roi de France. »
Dans cette catégorisation, les descendants d'Hugues Capet forment la lignée des « rois de France » et Robert II « le Pieux » devient de facto le premier « roi de France »(996-1031.) Pourtant, à ma connaissance, il n’existe curiseusement aucun texte d’historiens ou de commentateurs lui attribuant explicitement la primauté du titre.
Plus encore, en se penchant en détail sur la fiche présentant le sigillaire de Robert II, on s'aperçoit de l'étrangeté de cette catégorie de « roi de France» puisque les membres la composant restent encore des « rois des Francs » :
« Légende transcrite : + ROTBERTVS GRATIA D(e)I FRANCOR(um) REX »
http://www.sigilla.org/sceau-type/robert-ii-pieux-premier-sceau-30422 [consulté le 2.9.24]
Henri Ier (1031-1060)
La base numérique des sceaux conservés en France, Sigilla.org, propose elle aussi un classement des souverains en deux catégories : « rois des Francs » et « rois de France. » Seulement la liste des premiers s’allonge un peu plus que la première approximation utilisée par Wikipédia, puisque c’est Henri Ier, époux d’Anne de Kiev,
Les catégorisations mises en oeuvre par Wikipédia ou Sigila.org ne s'appuient pas sur une description scrupuleuse du titre du souverain sous sa forme originale. Loin de considérations empiriques cherchant à évlauer les sources, c'est au contraire une reconstruction idéologique qui informe les catégories. Les auteurs déroulent un a priori méthodologique sans vérifier que les confirmations qui le soutiennent soient « originales » et pas modifiées par des copies ou des traductions libres libre et approxiamtives.
La catégorisation employée notamment par Sigilla.org, constitue un premier niveau d'approximation supposant que le premier « roi de France » apparaît avec la dynastie capétienne. Il est alors étonnant de constater l'existence d'une autre thèse, au moins autant répandue que la précédente, y compris parmi les universitaires, et qui présente Philippe II « Auguste » (1165-1223), septième roi de la dynastie des Capétiens, comme un deuxième potentiel premier« roi de France. »
http://www.sigilla.org/roi-francs-170 [consulté le 31.8.24].
http://www.sigilla.org/roi-france-15018 [consulté le 31.8.24]
1.2.2 : L'hypothèse Philippe II « Auguste » (1190-1214)
Pour donner corps au changement du titre du souverain sous le règne de Philippe II « Auguste », on cite souvent un document communément appelé l’Ordonnance-testament de 1190.
Considérée comme « la première constitution écrite de la monarchie capétienne » (the first written constitution of the Capetian monarchy. John W. Baldwin. Paris, 1200. King Philip an his governement. Stanford University Press, 2010, p.96. - https://archive.org/details/baldwin-paris-1200/page/96/mode/2up) , cette ordonnance a été « prise [au] départ [du roi] pour la croisade, organisnant le gouvernement en son absence. »
Smith Marc. Le testament de Philippe Auguste (septembre 1222), de la paléographie à l’histoire. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 159e année, N. 1, 2015. pp. 19-52.
DOI : https://doi.org/10.3406/crai.2015.95479
www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2015_num_159_1_95479
nbp 32, p.26
Pourtant, le moine Rigord, premier biographe du roi Philippe, se présente explicitement dans le prologue de sa « Gesta Philiippi Augusti » comme le chronographe des « Rois des Francs »: « natione Gothus, professione phisicus, régis Francorum cronographus », car il se donne bien comme projet de rédiger une « hystorie regum Francorum », et le roi Philippe, malgré son titre d'Auguste, ne fait pas exception à la règle : « Dei gratia Philippi régis Francorum semper Augusti »
H-F. Delaborve . Oeuvre de Rigord et Guillaume le Breton. Paris. 1882. En ligne https://archive.org/details/uvresderigordetd01rigouoft/page/n31/mod
Delaborve « Gesta Philippi. Liber magistri G. in « gestis Philippi régis Francie, » dans une liste des mss. de Saint-Père de Chartres transcrite en 1373^, note : Chasles, Catalogue des manuscrits de la ville de Chartres, p. 147. Voy. aussi Pertz, Archiv, VITI, p. 390.
Ce document retranscrit par Elie Berger dans son Recueil des actes de Philippe Auguste, à partir de l'ouvrage du moine Rigord, puisque l'original est perdu, est librement disponible en ligne et universellement accessible. Et même si des transcriptions peu scrupuleuses de l'Ordonnance-Testament font état de "roy de France", le document ne laisse apparaître nulle part le titre mythique. Au contraire, il y est fait usage du traditionnel "roi des Francs": In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Philippus Dei gracia Francorum rex.
Recueil des actes de Philippe-Auguste, roi de France
sous la direction de M. Élie Berger Tome I,
Années de règne I à XV (1er novembre 1179-31 octobre 1194)
Impr. nationale (Paris)1916
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114540f/f460.
image.r=%22testament%20de%20philippe%20auguste%22?rk=42918;4
Puisque la date de 1190 est incapable de s'imposer comme le moment incontournable d'une rupture historique définitive, la connaissance commune devra alors la considérer comme la première étape d'une évolution progressive :
The first king calling himself rex Francie (« King of France ») was Philip II, in 1190, and officially from 1204.
https://en.wikipedia.org/wiki/Kingdom_of_France [consulté le 31.8.24]
La lecture des pages d'archives de la discussion à propos de l'article consacré à Philippe II « Auguste » sur Wikipédia, laisse entendre que cette impression d'évolution progressive, plus que de refléter une réalité historique, nait certainement davantage de désaccords entre auteurs apparemment inconcialiables :
« Alain Derville, né en 1924, agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur à la Faculté des Lettres puis à l'Université de Lille III dans son livre La société française au Moyen Âge, 2000, p. 264 dit que « dès 1200, Philippe Auguste abandonna le titre de roi des Francs (rex francorum) par celui de roi de France (Rex franciæ). » »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Philippe_II_Auguste/Archives_1
« Marie Thérèse Jones-Davies, professeur à l'Université Paris Sorbonne dans Langues et nations au temps de la Renaissance p. 39, dit que « Cette titulature devint officielle en 1181 lorsque Phillippe-Auguste déclara : Philippus Dei gratia Franciae rex (Philippe roi de France par la grâce de Dieu). » »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Philippe_II_Auguste/Archives_1
« Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte. »
Hervé Pinoteau, Les Pleines armes de France : de Clovis au duc d'Anjou, Éditions du Léopard d'Or, 1995, 146 pages, p. 93 cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_Auguste#cite_ref-101
Bernard Guenée (Politique et histoire au Moyen Âge. 1981) se réfère à la date traditionnelle de l'Ordonnance-testament de 1190, :
« Mais, en 1190, Rex Francie apparaît dans quelques actes influencés par les traditions des Plantagenets », p.158.
Il évoque aussi 1204, impliquant sans doute que la « France » serait la notion correspondant au nouveau territoire défini après la conquête de la Normandie :
« On n'aura pas été sans remarquer que l'expression Rex Francie a été adoptée dans la titulature officielle en juin 1204, juste au moment de la prise de Rouen »p.160.
Politique et histoire au Moyen âge : recueil d'articles sur l'histoire politique et l'historiographie médiévale, 1956-1981 / Bernard Guenée. Publications de la Sorbonne. 1982 cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_Auguste#cite_note-102
« Alain de Benoist dans La ligne de mire, p. 62, dit que : « l'expression rex Franciae n'apparaît qu'au XIIIe siècle sous Philippe Auguste après la défaite de Muret » (le 12 septembre 1213 - dans le cadre de la croisade contre les Albigeois commencée en 1209.)»
https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Philippe_II_Auguste/Archives_1 [consulté le 7.9.24]
Alain Derville, La société française au Moyen Âge], 2000, p. 264
Marie Thérèse Jones-Davies, Langues et nations au temps de la Renaissance, 1991, p. 38.
Alain de Benoist, La ligne de mire II 1988-1995, 1995, p. 62
Une date encore postérieure symbolisant l'avènement du « roi de France », serait celle de la bataille de Bouvines en 1214. Pour la revue de popularisation scientifique « ça m'intéresse », cette date correspondrait logiquement à la dispariton de la « Gaule » remplacée par la nouvelle « France » :
« Symboliquement depuis 1214, quand les troupes du roi Philippe Auguste battent celles de l’empereur germanique à Bouvines. On utilisait depuis l’an 883 le mot Francia (pays des Francs) et, avant cette date, Gallia (pays des Gaulois). En grec, la France s’appelle toujours Gallia. »
https://www.caminteresse.fr/histoire/depuis-quand-notre-pays-sappelle-t-il-la-france-108800/ [consulté le 31.8.24]
D'après John W. Baldwin, « la dernière phase (1214-1223) au cours de laquelle se construit, dans la paix et la prospérité, la nouvelle idéologie d'une monarchie administrative et sacrée où le roi ne se dit plus seulement Rex Francorum, roi des Français, mais rex Francie, roi de France. »
Patrick Boucheron. Philippe Auguste de John Baldwin. L'histoire. Avril 2015 https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB-philippe-auguste-%C2%BB-de-john-baldwin [consulté le 31.8.24]
Il est vrai que l'ouvrage du moine Rigord (offert au roi Philippe en 1196) utilise parfois le titre « rex Francie », quand par exemple, Philippe cotoie le « rex Ungarie » ou encore le « rex Anglie » qui le couronne lors du sacre du jeune roi à Reims (coronatus est Remis, adstante Henrico rege Anglie, et ex una parte coronam super caput régis Francie. Delaborde, p.13), il faut sans doute reconnaître l'influence des « traditions des Plantagenets » dans cet usage. L'occurence apparaît effectivement en concurrence avec le titre de « Francorum rex. »
Mais plus qu'un changement de régime, on pourrait comparer cette variation des usages à une variation stylistique qu'on observe dans un corpus journalistique contemporain, où le « président de la Répubique » est parfois désigné comme le « président des Français » ou plus rarement comme le « président de la France .»
Cependant, la connaissance commune n'utilise pas ces variations stylistiques d'une façon aléatoire. Afin de lui donner une apparence « naturelle », et donc inévitable et nécessaire, la connaissance commune suppose une évolution de la forme du titre dans laquelle un premier « roi de France » latin (« Rex Franciæ » ou « Rex Francie ») succéderait au « roi des Francs » (tout autant latin.) Le « roi de France » en français devenant l'étape ultime d'une histoire visant téléogiquement sa fin. Malgré cette apparence d'unanimité à propos du changement progressif de titre, la connaissance commune relativise ses certitudes et décèlé une incohérence dans l'usage du titre employé par Philippe II :
« Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum, Philippe roi des Francs ou des Français, à la différence par exemple de Richard roi d'Angleterre (rex Angliæ – en usage depuis Henri II – 1154 – fils d’Henri Ier, créateur du système Tally Stick). » http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_de_France [consulté le 31.8.24]
Par cette remarque, on comprend alors que, malgré une légende tenace et très largement répandue, les documents directement émis par le roi ne laissent pas de place au doute. On le vérifie facilement grâce aux travaux d'Elie Berger (Recueil des actes de Philippe-Auguste, roi de France. 1916) ou de Charles Petit-Dutaillis (Études sur le « Registrum Veterius » et la date de quelques actes de Philippe-Auguste.1938) pour ne citer que ceux-ci. Alors que les documents authentiques mentionnent toujours et sans aucune exception le titre de « Francorum rex », les commentateurs font systématiquement réfèrence au « Roi de France. »
Pourtant Philippe Auguste, aura été « Roi des Francs » jusqu'à sa mort puisque son testament, rédigé en 1222, fait toujours mention du « Francorum rex »:
Depuis François Eudes de Mézeray, les grands spécialistes manifestent une certaine "désinvolture" dans l'usage des catégories caractérisant les souverains.
J. Le Goff, Pour un autre moyen âge. tel/Gallimard.1977. P.308., résume le début d'une nouvelle en latin rédigée entre 1185 - 1193 par un moine, Walter Map, résidant à la cour du Roi d'Angleterre. Le manuscrit raconte l'histoire du héros Henno, qui porte secours à "une jeune fille rescapée d'un naufrage d'un navire qui la conduisait vers le Roi de France qu'elle devait épouser." Si l'original contenait effectivement la catégorie de Rex Franciae, son authenticité en deviendrait douteuse. Du moins, la transcription en français montre un usage non problématisé de la catégorie, un usage sans précision, trop large, "désinvolte"...un usage d'autant plus désinvolte qu'il ne respecte pas l'expression originale (regi Francorum) de l'édition de 1914 à laquelle se réfère J. Le Goff : M.R. James, Oxford, 1914, p. 175 - consultable en ligne sur l'indispensable et salutaire archive.org :
https://archive.org/details/waltermapdenugis00mapwuoft/page/n217/mode/2up?q=Henno)
1.2.3: L'hypothèse « Saint » Louis IX (1226-1270), traduction et a priori de la perception et exigence positiviste.
Même si une majorité d'auteurs semblent s'accorder pour reconnaître en Philippe II « Auguste » le premier « Rex Francie », malgré l'absence totale de document authentique, la connaissance commune complique encore la situation et renforce le sentiment de confusion générale en proposant un autre prétendant au titre. Citant Colette Beaune, les rédacteurs de l'article « Francie » attribuent le premier titre de « Roi de France » à Saint-Louis (Louis IX) :
« C’est en 1254 que Rex Francorum laisse la place à Rex Franciæ. »
Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1985, 574 p. (ISBN 2-07-032808-2), p. 419. https://fr.wikipedia.org/wiki/Francie#cite_ref-Naissance_de_la_nation_France_43-2 consulté le 18.11.24
Il serait même possible d'identifier « Saint » Louis IX comme le premier « roy de France » (en français). Une remarque de Louis Carolus-Barré (1976) permet d'expliquer la multiplication de l'impression laissée par l'apparition supposée du titre de « roi de France » dès le 13ème siècle. Louis Carolus-Barré constate qu'à l'époque de « Saint » Louis IX, de rares actes adressés à des administrations territoriales du nord-est de Paris, ou les traités diplomatiques adressés aux Plantagenêts, sont rédigés en langue vulgaire et le « Roy de France » n'y apparait que comme traduction de « Francorum Rex » :
« Dans cet ensemble rédigé en langue latine, il m'est arrivé [...] de trouver quelques actes en langue vulgaire [...] mais le texte de ces divers documents est conservé seulement en copie, et l'on n'a pas de mal à déceler qu'il s'agit de traductions faites sur des originaux rédigés en latin. »
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1976_num_120_1_13222
« Etienne Pasquier l'avait justement observé [...] dans ses précieuses Recherches de la France en écrivant « L'Ordonnace du roy saint Louys, de l'an 1254...fut faite en latin (ainsi que l'usage commeun de la France portoit lors & auparauant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps ». (p.149)
Carolus-Barré, Louis. L'apparition de la langue française dans les actes de l'administration royale. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1976 120-1 pp. 148-155
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1976_num_120_1_13222
De son côté, dans son article de 1885, Julien Havet partageait toute sa méfiance envers des copies erronées:
« De là les nombreuses copies des chartres mérovingiennes et les formules postérieures (sans parler des actes faux) qui nous sont parvenues avec la leçon rex Francorum « vir inluster », au lieu de « viris inlustribus », et qui ont accrédité cette leçon jusqu'aujourd'hui parmi les diplomatistes. Je crois qu'il faut considérer ces mots, quand on les trouve dans un texte mérovingien, comme introduits par une faute de copie, et qu'on ne doit pas hésiter à les corriger ». p149
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1885_num_46_1_447336
Si alors les titres des souverains sont à mêmes de subir les variations styistiques des commentateurs et des « chronographes », si les documents authentiques sont imprécisément copiés et traduits suivant les modes de l'époque, il faut admettre que la copie ne fait foi que d'elle même. En 1888, Elie Berger résumait ce principe fondamental, en constatant que (à propos des Actes de Louis VII):
« Ces lettres, que nous ne possédons plus sous leur forme première, ne prouvent rient contre les actes authentiques. »
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1884_num_45_1_447246
Le déchiffrage de la légende inscrite sur les sceaux royaux, bénéficiant de l'attention toute protectrice du Garde des sceaux, fournit au contraire une information fiable capable de révéler la forme exacte du titre du souverain. Le document que le sceau identifie et qui lui sert de support sera en mesure de préciser la date d'apparition du premier « Roi de France », à condition toutefois de ne pas se fier aveuglément aux commentateurs et préférer la connaissance directe.
Car plus encore que les vagues analogies, la connaissance commune s'appuie aussi sur de gossières erreurs difficilement explicable sans recourir à une théorie des habitudes de pensée érigées en a priori de la perception :
« A partir de 1190, le sceau de Philippe Auguste est gravé de la mention en latin : Rex Franciæ, roi de France, mais la titulature latine rex Francorum reste par ailleurs en usage jusqu'à la Révolution. »
Jean-Paul Meyer,Les Fils de L'An 2000 Essai [archive], 1998, p. 61
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France#Titres_officiels
On s'aperçoit alors que l'affirmation des rédacteurs de Wikipédia, reprenant celle de J.P. Meyer, et prétendant que le titre de « Rex Franciae » apparait sur le sceau du roi dès 1190, est en totale contradiction avec l'observation directe. On n'en retrouve la confirmation ni dans l'inventaire numérisé sur le site sigilla.org ni sur les inventaires réaisés par Natalis de Wailly ou Douët d ́Arq. Toutes les sources directes s'accordent sur la légende, encore en latin, du sceau de Philippe II:
Philippus. Di. Gra. Francorum Rex. 1219
http://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1843_num_4_1_451718
http://www.sigilla.org/sceau-type/philippe-ii-auguste-deuxieme-grand-sceau-21788
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2 – Typologie des titres des souverains
2.1 Méthodologie
Seules les titulatures employées dans les légendes des « Grands Sceaux » ou des « Sceaux de majesté » du souverain quand il en existe plusieurs types apparaitront dans ce tableau. Il arrive, en effet, que pour un même souverain, les titres varient selon le type de documents. Élie Berger a montré par exemple que Louis VII, dénommé « Francorum rex » dans la légende du grand sceau, pouvait aussi être désigné comme « rex Francorum » ou « dux Aquitanorum » dans certains autres documents :
« Louis VII, qui dans ses plus anciennes chartes s'est intitulé rex Francorum et dux Aquitanorum, et qui à la fin de son règne ne s'appelait que Francorum rex, n'a pas renoncé au titre duc d'Aquitaine […] on ne trouve dux Aquitaniae que sur les copies... »
BERGER, Élie. La formule "rex Francorum et dux Aquitanorum" dans les actes de Louis VII. Bibliothèque de l'École des chartes Année 1884 45 pp. 305-313
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1884_num_45_1_447246 [consulté le 31.8.24]
Pour cette interprétation de la légende des sceaux, le niveau d'approximation choisi ne comportera aucune référence à la forme de la police ou à la présence d'abréviation. Suivant le principe méthodologique formulé par Natalis de Wailly, seul le niveau sémantique sera conservé :
« lors même que deux formules sont identiques pour le sens et composées des mêmes mots, elles peuvent se distinguer par des abréviations ou par la forme particulière de certaines lettres. » (WAILLY. p.447)
Précisons qu’il faudra attendre un arrêt de Louis XIII, publié au parlement de Paris le 26 février 1633, pour que soit répandu l'usage d'une police uniformisée :
« Les alphabets soumis par Barbedor et Lebé furent retenus en février 1633. La cour ordonna à la communauté de dresser des exemples explicatifs de la méthode de composition des lettres retenues, de les graver et de les faire imprimer pour le bénéfice du public, interdisant corrélativement « à tous lesdits Maîtres Jurés-Ecrivains & autres qui font profession d’enseigner d’user d’autres Alphabets, Caractères, Lettres & Formes d’Ecrire que celles contenues esdit Exemplaire [pour] instruire la jeunesse qui leur sera commise ». »
Métayer, C. (2001). Normes graphiques et pratiques de l'écriture: Maîtres écrivains et écrivains publics à paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 56, 881-901. https://www.cairn.info/revue--2001-4-page-881.htm. [consulté le 31.8.24]
Les souverains et leur titre respectif sont classés chronologiquement. Si la date de leur apparition sur un document varie d'un inventaire à l'autre, il en sera fait mention. Les rois « supposés. », dont on ne possède aucun document écrit original attestant de leur existence ou de leur titre, ou ceux dont l'original a disparu, ou dont l'existence n'est pas confirmée par les trois sources simultanément, n'apparaissent pas dans ce tableau. Wally A - douet B – Sigilla C : nous indiquerons les variations d'orthographe, mais nous ne laisserons qu'une seule date de règne,même s'il existe des variations entre les sources.
2.2– Tableau chronologique :
Légende reconstruite |
Nom (en français) |
Date d'apparition ou période de règne |
Childirici Regis A/ Regiz B-C |
Childéric Ier |
458-481 |
S.R. (Sigebertus Rex) |
Sigebert II A-B / Sigebert III C |
638 – 656 |
Theudericus, Chlodovius, Childebertus, Chilpéricus Rex Francorum |
Thierry III, Clovis III, Childebert III, Chilpéric II |
680, 693, 709, 716 |
0 |
Pépin le Bref, Carloman + Charlemagne |
752, 769, 779 |
+ XPE (chrisme: Khi Rho) Protege Carolum Rege. (acc: regem) Francorum |
Charlemagne |
774 |
+ XPE (chrisme: Khi Rho) Protege Hlvdovicvm imperatore. (acc:imperatorem) |
Louis « le Débonnaire |
816 |
+ XPE (chrisme: Khi Rho) Adjuva Hlothariv.(m) MP. (imperátorem) Avg (ustum). |
Lothaire Ier |
840 |
+ Karolus Gratia Dei Rex |
Charles « le Chauve » |
843 - 877 |
+ Karolus Misericordia DI. Imperator AVG. |
Charles « le Chauve » |
843 - 877 |
Hludovvicus Misericordia D(e)i Rex |
Louis II « le Bègue » |
878 |
+ ……………….. US Gratia DI.(Rex) / sigilla.org suppose que la place laissée devant – US, G un nom aussi long que « Hludovvicus » |
Louis II le Bègue + Charles « le simple » |
879 |
Zventeboldus Rex |
Zuentebolde, roi de Lorraine (Austrasie) |
897 |
Rodulfus Gratia DI. Rex |
Rodolphe/Raoul |
932 |
Robertus Gr(at)ia DI. Francoru. Rex |
Robert |
997 |
Heinricus Di. Gra. Francoru. Rex |
Henri Ier |
1056 -1108 |
Dei Gratia Francorum Rex Contre-sceau : Et Dux Aquitanorum |
Louis VII |
1141 |
Dei Gratia Francorum Rex – au Contre-sceau une fleur de lis épanouie |
« Philippe II Auguste » |
1219 |
Dei Gratia Francorum Rex – au Contre-sceau : Et Navarre |
Philippe IV « le Bel » – il devient roi de Navarre sous le nom de Philippe Ier par son mariage avec Jeanne Ire- à la mort de la reine en 1305,son fils « Louis le Hutin » devient roi de Navarre |
1288 |
Dei Gratia Francorum Rex Et Navarre Rex – au Contre-sceau la fleur de lis. |
Louis X « le Hutin », Philippe V « le long », Charles IV « le bel »– les 3 frères derniers capétiens directs |
1315 - + 1328 |
Dei Gratia Francorum Rex |
Philippe VI |
1328 |
Rex Angliae et Franciae et Dominus Hiberniae et Dux Aqvitanie |
Edouard III (petit fils de Philippe IV) |
1340 |
Franciscus et Maria D.G. R. R. Francor. Scot. Angl. Et Hyber |
François II et Marie Stuart |
1559 |
Ludovicus XIII Dei Gratia Fracorum Rex |
Louis XIII « le juste » |
1610 Douet D'arc et Sigilla.org 1616 Natalis de Wally |
Roy de France et de Navarre – Par la Grace de Dieu |
Louis XIII « le juste » |
1613 Sigilla.org https://sigilla.irht.cnrs.fr/2690 1617 Douet D'arc 1618 Natalis de Wally (1633 pour la légende complète) |
P.L.G.D. Dieu et la Loy constitutionnelle de l‘Etat Roy des François – l'orthographe contemporaine (roi-loi) apparait sous Louis XVI mais n'est pas datée. |
Louis XVI |
1790 |
3- Commentaires du tableau
Une fois qu'on a résolu de se plier au principe del'« exigence positiviste » mis en exergue par Elie Berger, et qu'on a décidé de ne pas prendre pour argent comptant les traditions transmises et répétées par les copistes et les commentateurs; une fois qu’on est disposé à ne se référer qu’à la garantie fournie par le document original (et pas seulement «authentique» comme le sont considérées les copies tardives), le tableau typologique des titres des souverains nous révèle une histoire de France bien différente de celle professée ad Delfini.
3.1 : les absents du tableau
- Le célèbre Clovis Ier, tout comme ses supposés ancêtres depuis Faramond, n'apparaissent dans aucun document original. Et malgré la fameuse biographie de Grégoire de Tours, Clovis Ier reste absent de certaines histoires. On peut citer notamment la chronique de Lausanne rédigée par Marius d'Avenches à la fin du Vième siècle. Bien que couvrant les année 435-581, la chronique ne nomme jamais explicitement le grand roi qui a unifié les tribus franques. « Childebert, Clotaire et Théodebert » sont les premiers rois des Francs dignes d'être cités par l'évêque de Lausanne (la version traduite et numérisée par Marc Szwajcer est consultable en ligne sur le site de Philippe Remacle : https://remacle.org/bloodwolf/historiens/marius/chroniques.htm consulté le 17.01.25)
Cette absence de documents mérovingiens authentifiés par le sceau du souverain est confirmée par Carlrichard Brülh :
« On sait qu'il ne nous reste de Clovis aucun acte sincère qui viendrait tant soit peu éclairer l'histoire de son règne : triste constat que l'on peut étendre à l'ensemble du VIème siècle mérovingien, dont les rois pas plus que leur homologues lombards, ne nous ont laissé un seul acte qui ne soit une forgerie. »
Carlrichard Brülh. Clovis chez les faussaires. Bibliothèque de l'École des chartes. Vol. 154, No. 1, CLOVIS CHEZ LES HISTORIENS (janvier-juin 1996), pp. 219-240 -https://www.jstor.org/stable/43013434 consulté le 17.1.25
- Notre tableau récapitulatif exclut également le célèbre Dagobert, malgré la comptine pour enfants qui a sympathiquement popularisé le grand roi en compagnie de son ministre des finances. En effet, si Dagobert est identifié différemment par Douët d’Arc (Dagobert Ier - roi d'Austrasie et des Burgondes vers 629-639 règant avec son ministre Eloi) et Sigilla.org (Dagobert II – roi d’Austrasie de 676 à 679, assassiné par Thierry), il est complétement absent de l’inventaire de Natalis de Wally. La base Sigilla.org se dispense de nous présenter aucune matrice du premier Dagobert dont elle suppose l’existence, quant à l’existence positive du sceau du second Dagobert identifié par Sigilla.org, elle reste tout autant problématique d’un point de vue positiviste, puisque nous ne disposons plus que d’un « Moulage fait à partir d'une empreinte prise sur une matrice en bronze, découverte en 1840 dans le Doubs, mais aujourd'hui disparue. » "Douet d'Arcq 2" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/115455). Consultation du 30/01/2025.
- Découvert à Tournai en 1653, le très célèbre anneau sigillaire de Childéric Ier, père de Clovis Ier, connait un destin similaire à la matrice du sceau de Dagobert. En effet Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux, La France avant la France (481-888), éd. Belin, 2010, p. 68. (cité par wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Child%C3%A9ric_Ier#cite_note-52), nous apprend qu’il a été dérobé en 1831 avec l’ensemble de l’or du trésor (Chifflet en avait fait l’inventaire dès le 17ème siècle : https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.area-archives.org%2Farea-archives%2Fvirtual-exhibition-fr%2Fchifflet.htm#federation=archive.wikiwix.com&tab=url) Pour ces même raisons positivistes, le titre de souverainté démontré par la légende de cet anneau n'apparait pas dans ce tableau.
- Hugues Capet, fondateur de la troisième dynastie, n'apparait ni dans l'inventaire de Natalis de Wailly ni chez Jean Douët D'Arc. L'illustration de son sceau « uniquement connu par des dessins » et présentée par Sigilla.org ("Hugues Capet - sceau" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/65). Consultation du 30/01/2025.) ne pouvant servir d‘original, le « Dux Aquitarum » n'apparait pas en tant que « Francorum Rex » dans notre tableau.
-Une étape fondamentale, censée validée la thèse de l'évolutionisme soutenue par la connaissance commune, a complétement disparue de notre tableau. On ne trouve en effet aucune trace d'un quelquonque „Rex Franciae“ censé servir de transition entre le roi des Francs (en latin : Rex Francorum) et le Roi de France (en français). On peut fonder sur cette absence toute la critique qu'on doit adresser à l'optique anachronique d'une histoire passée au prisme du nationalisme. Elle pêche par son heuristique impuissante, elle se montrer incapable de découvrir de simples faits et en invente d'autres sous prétexte d'idéologie nationale ! Si la « collection de sceaux des rois et des reines de France » est incapable de nous renseigner sur l'identité du premier « Rex Francie », c'est pour la raison que selon les critères nationalistes modernes, ce roi est un « Anglais » ! Il s'agit d'Edouard III, Plantagenêt parlant très problablement français, petit-fils du Capétien Philippe IV Le Bel, cherchant à se rallier les Flandres pour appuyer sa « revendication dynastique […] au trône de France » (Royer-Hemet Catherine. Édouard III d'Angleterre, un roi médiéval aux multiples visages. In: Bulletin des anglicistes médiévistes, N°81, Été 2012. pp. 25-41. DOI : https://doi.org/10.3406/bamed.2012.1092 - www.persee.fr/doc/bamed_0240-8805_2012_num_81_1_1092) au dépend de Philippe de Valois :
« Ce fut par le conseil d'Artevelle qu'Edouard prit ce titre de roi de France que ses successeurs n'ont point encore quitté. L'objet de cette démarche était de lever le scrupule que les Flamands pouvaient se faire de porter les armes contre leur suzerain : or ce suzerain était le roi de France, quel qu'il fût. » Encyclopédie méthodique (1784). Histoire. Tome I. Article Artevelle. p.428 - https://books.google.cz/books?id=zokPAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Edouard III adopte le titre « Rex Angliae et Franciae et Dominus Hiberniae et Dux Aqvitanie » en 1340 et déclenche « la guerre de cent ans. » Ses successeurs resteront « King of France » jusqu'en 1801.
- 3.2 : première dynastie des « Rex Francorum »
Suivant notre corpus, le premier roi des Francs /« Rex Francorum » est donc Thierry (Thierry III, fils de Clovis II et roi de tous les Francs de 679 à 691.)
Il est sans doute remarquable de constater que c'est l'idéologie contemporaine qui décide de distinguer le Franc « Thierry » du Goth « Théodoric. » Même si les versions latines apparaissent très légèrement difféntes (« Theudericus » ou « Theodericus ») elles constituent deux réalisations d'une forme unique d'origine proto-germanique *Þeudarīks. C'est alors la traduction qui détermine postérieurement « l'ethnicité » de l'original ! Des idéologies nationalistes beaucoup plus tardives ont attribué des formes différentes à ce que l'unicité lexicale proto-germanique désignait comme « le roi de la nation. »
Pour le roman national actuel, il est tout autant surprenant que le moine Rigord, originaire des Cévènnes et premier biographe de Philippe-Auguste, puisse encore se déclarer de « nationalité gothe » (natione Gothus) plus de cinq siècles après la bataille de Vouillé. Mais l'influence du Marquisat de Gothie et de ses traditions ont certainement perdurer au moins jusqu'à la fin du XIIème siècle. Cependant la « nationalité gothe » à laquelle se réfère le moine Rigord a peu de chance de trouver un écho dans la définition contemporaine de la « nationalité. » Claudie Duhamel-Amado précise que :
« « Saliques », « Goths », « Romains »... les notions d’identité devaient déjà renvoyer, autour de 900, à des traditions familiales et culturelles dominantes plutôt qu’à une réalité ethnique bien définie, aucun des trois groupes n’ayant échappé au processus permanent de fusion, comme en témoigne le repérage des alliance matrimoniales au sein de l’aristocratie. »
Duhamel-Amado, Claudie. « Poids de l’aristocratie d’origine wisigothique et genèse de la noblesse septimanienne ». L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, édité par Jacques Fontaine et Christine Pellistrandi, Casa de Velázquez, 1992, https://doi.org/10.4000/books.cvz.2115. Consulté le 16.1.2025
Quelque soit son ethnie, le roi Thierry s'impose comme le premier souverain d'une série remarquable par sa cohérence, celle de la « race » des « rex Francorum » :
« La légende des sceaux de nos rois de le première race est constante est uniforme. C'est toujours le nom du roi mis au nominatif et accompagné du titre de roi des Francs. Theodoricus, rex Francorum. » Douët D 'ARQ p. XCIV
- 3.3 : Rex, Imperator, Augustus : l'instabilité carolingienne
Cette première époque est suivie par une courte période (752, 769, 779) correspondant à l’avénement de la dynastie carolingienne et pendant laquelle aucune légende n'apparait sur les sceaux.
Avec le deuxième sceau du règne de Charlemagne (774), le titre de « rex » réapparait métamorphosé. Certes le grand Charles reste « roi des Francs », mais soumis à la « protection du Christ », il doit endosser la fonction d’accusatif: « XPE protege Carolum Rege Francorum. » Ainsi ce changement grammatical résulte de l'apparition d'une instance divine, incarné dans le chrisme et dont la protection assure au roi Charles sa souveraineté.
Même s’il existe du monétaire (un denier d’argent notamment) attestant du titre d’empereur, notre corpus des empreintes des sceaux ne fait pas apparaitre Charlemange portant le titre impérial. Il faut attendre son successeur, Louis le Débonnaire (816 + 839), dont la légende du sceau est toute identique à celle de son prédécésseur, execpté le titre d’empereur, toujours à l’accusatif et toujours placé sous la « protection » divine symbolisé par le Khi Rho.
Le titre de Lothaire premier (840) garde une structure générale similaire suivant le chrisme. Seulement, le nouvel empereur ne bénéficie plus de la « protection » divine mais son aide (« adjuva ») qui lui a permis d'augmenter son titre (« Augustum ».)
« Charles le Chauve, en 843, introduit le premier la formule « gratia Dei », et ne prend encore que le titre de roi : Karolus, gratia Dei, rex. En 877, il remplace le « gratia Dei » par « misericordia Dei», et prend le titre d'empereur : karolus, misericordia Di. imperator aug. »
DOUET Darc XCXV : https://archive.org/details/collectiondescea01douuoft/page/n139/mode/2up?q=chauve
Louis II le Bègue, Charles le simple et Rodolphe/Raoul (879, 911,932) reprennent l’usage inauguré par Charles le Chauve en 843: nom du roi au nominatif + Gratia Dei Rex (Rodolfus Gratia Dei Rex.)
- 3.4 : la dynastie capétienne
997 : « Le premier sceau capétien que possèdent les Archives est celui du roi Robert » (Douët D 'ARQ p. XXXIX ) Robert réintroduit la mention „Francorum“ qui dans notre tableau n’avait pas été utilisé depuis Charlemagne (même si nos trois sources ne le citent pas toutes, il est parfois fait mention d’une „renovatio regni francorum“ chez Charles le Chauve). Robert est le premier à associer „Gratia Dei“ à la tournure modernisée „francorum rex“, dans laquelle le „rex“ est postposé, contrairement à la mode mérovingienne du „Rex Francorum“
« C'est son fils , Henri I", qui nous fournil le premier exemple d'un sceau de majesté. C'est un sceau rond d'environ 76 millimètres de diamètre. Le roi y est vu de face, assis sur un trône d'une architecture à deux étages et qui est accompagné d'un marchepied. Sa couronne, à trois fleurons, ressemble à celle de son père. Il porte comme lui la barbe longue et est également vêtu de la tunique et du manteau, attaché cette fois sur l'épaule droite et retombant en pointe sur la poitrine. Ses deux bras sont levés à la hauteur de la tête. Il tient, à droite, un fleuron à trois lobes, et, à gauche, un bâton ou sceptre^. »(Douët D 'ARQ p. XXXIX )
Nous avons vu qu'il est nécessaire de dialectiser la catégorie de « roi des Francs » qui varie en « rex Francorum » ou « Francorum rex. »
Thierry le Mérovingien entame la brève dynastie des « rex Francorum »
1056 - C'est Henri Ier, futur époux d'Anne de Kiev, à l'époque où Procope de Sázava était supposé rédiger l'Evangéliaire de Reims,
qui donnera l'ordre canonique DEI GRATIA FRANCORUM REX
On retrouvera le même manque de précision, quand on aborde le titre composé de « roi de France et de Navarre » :
« Le titre de roi de France et de Navarre a été porté pendant plus de deux siècles par les rois de France de la maison de Bourbon, à partir de l';avènement d';Henri III, roi de Navarre, au trône de France, sous le nom d';Henri IV (1589), dans le contexte d';une union des Couronnes de France et de Navarre. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_de_France_et_de_Navarre [consulté le 31.8.24]
Nous avons vu le détail de l';apparition du titre de « roi de France et de Navarre » à l';époque des Bourbons, et comment il succède à un titre de « roi des Francs et de Navarre » que les Valois avaient perdu.
REX CONCLUSION
REX CONCLUSION
Contre l'évolutionnisme
BIBLIOGRAPHIE
Natalis de Wailly. Sur une collection de sceaux des rois et des reines de France. 1843
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1843_num_4_1_451718
Douët D ́ARQ. Inventaires et documents, collection de sceaux. Parsi. 1863
https://books.google.cz/books?id=rYE1a5NC7f0C&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
De Douët M. de D ́ARQ. Inventaires et documents, collection de sceaux. Parsi. 1863
https://books.google.cz/books?id=rYE1a5NC7f0C&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Si les mentions « rex francorum » et « francorum rex » permettent de différencier les dynasties mérovingiennes (r.f.) et capétienne (f.r.) en étudiant les seules légendes des sceaux, l'étude des documents permet de déterminer que l'antéposition de l'ajectif peut apparaître même quand il s'agit de désigner un souverain capétien :
BERGER, Élie. La formule "rex Francorum et dux Aquitanorum" dans les actes de Louis VII. 1884
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1884_num_45_1_447246
La confusion française et la doxa :
https://en.wikipedia.org/wiki/Style_of_the_French_sovereign
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France
https://fr.wikipedia.org/wiki/Royaume_de_France
HAVET, Julien. Questions mérovingiennes. I. La formule : N. rex Francorum v. inl.. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1885, tome 46. pp. 138-149.
DOI : https://doi.org/10.3406/bec.1885.447336
www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1885_num_46_1_447336
Recueil des actes de Philippe-Auguste, roi de France / publié sous la direction de M. Élie Berger Tome I, Années de règne I à XV (1er novembre 1179-31 octobre 1194) Impr. nationale (Paris)1916
https://en.wikipedia.org/wiki/Renovatio_regni_Francorum
SYNTAGMA HISTORICVM de - VETERIBVS GERMANORVMALIARVMQUE NATIONVM
SIGILLIS. 1709
https://ia802800.us.archive.org/34/items/bub_gb_odPmuItct9gC/bub_gb_odPmuIt
Natalis de Wailly (1843),
Sur une collection de sceaux des rois et des reines de France. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1843, tome 4. pp. 484-485.
doi : 10.3406/bec.1843.451718
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1843_num_4_1_451718